Notre album (5)

Réflexions autour d’images ordinaires, de photos prises par des amateurs, des portraits, des dessins, des œuvres de photographes de proximité. Comme un album auquel chacune et chacun sont invités à contribuer.

Assieds-toi

Le portrait du vieux est un portrait assis. Sur toutes les photographies que je glane sur les brocantes grâce à ma complice artiste et vendeuse d’images Emmanuelle Fructus, il n’y en pas une où l’ancêtre est debout ; en groupe ou seul, avec la petite-fille ou avec sa plus jeune sœur, ses jambes ne le portent pas. En noir et blanc ou en couleur, les personnes âgées ont un accessoire obligé : la chaise, le fauteuil en rotin ou en bois, la chauffeuse, le rocking-chair, le pliant, le banc. Cette présence est si remarquable qu’on pourrait se demander dans quelle mesure ne se dessine pas à travers cette galerie de portraits une sorte d’inventaire du mobilier ordinaire. Mais ce serait sans doute faire erreur, car lorsque le vieux vient à disparaître, on se met à désigner le meuble par son prénom : le fauteuil de Bonne-maman, le Voltaire de l’oncle Jean, la chaise à pépé… il n’est pas un accessoire comme un autre. La raison vient peut-être, c’est pour moi le plus troublant, que sur ces clichés, le meuble semble faire corps avec le corps même du sujet photographié. Il épouse parfois la couleur sombre de sa robe, il est, comme « par hasard », là où qu’on soit.

Jusqu’aux années 1920, de même qu’on photographiait les nouveau-nés nus allongés sur le ventre sur une peau de bête ou un gros coussin, on photographiait les morts sur leur lit, je me demande si ces photos de vieilles et de vieux assis ne sont pas une survivance de ces pratiques. La position assise marque une étape ou du moins assigne au sujet une certaine position, celle d’un retrait, d’une fragilité, d’une fixité aussi. Ne bougez plus.

Philippe Artières

Notre album – 1

Notre album – 2

Notre album – 3

Notre album – 4

Notre album – 6

Notre album – 7