Sobriété en santé, ultime diversion ?
Depuis plus de vingt ans, l’environnement néolibéral a encouragé la réduction de la place et du rôle de l’État dans les politiques publiques. Dans un contexte de concurrence, nombre d’interventions étatiques ont ainsi été poussées à réduire leur périmètre. On a vu fleurir les objectifs d’État frugal ou d’État modeste.
Avec la pandémie de Covid-19, la crise a conduit l’État à jouer un rôle de Canadair déversant l’argent en urgence « quoi qu’il en coûte » et à afficher des « boucliers » protecteurs pour les populations. Complexifiant encore les grilles de lecture, les crises énergétique et écologique ont promu la sobriété au rang de maître mot charpentant nombre de discours politiques et médiatiques. C’est la société dans son ensemble qui est convoquée pour un objectif de maîtrise énergétique. Dans le même mouvement, l’accélération des contraintes financières soumet la même société a un objectif général de modération, voire de limitation, alors même que le dialogue social peine à s’en emparer pour en construire l’indispensable contenu.
Et voilà qu’entre frugalité des uns et sobriété des autres, la santé et ses acteurs professionnels s’emparent du vocable qui devient un passage obligé d’interprétation d’une crise sans fin. L’impératif de sobriété est brandi alors qu’on atteint un paroxysme dans la crise de l’accès aux soins et dans celle plus globale de la santé publique. Dans un système où la santé est un marché financé par l’Assurance maladie, où la liberté d’installation est un dogme absolu, où la liberté de prescription n’est pas évaluée, où la formation continue sert d’alibi à l’absence d’évaluation professionnelle, qu’apporte le fil d’Ariane de la sobriété pour regarder les insuffisances du système ?
De fait, on se joue de mots, on mélange, on repousse les échéances douloureuses, on montre du doigt à juste titre les servants d’artillerie d’actes médicaux techniques et le commerce du médicament ; on s’enflamme à l’idée de proposer une année d’internat supplémentaire pour les futurs médecins généralistes mais on oublie que les déserts médicaux se développent notamment dans nos banlieues les plus démunies. Bref, on dénonce alors que la communication ministérielle masque l’inaction politique.
Nous sommes dans un moment d’apnée. La santé en général et l’hôpital en particulier sont dans un tourbillon. Les manques et les désengagements des professionnels découragent et désagrègent ce qui reste des équipes. Le ministre de la Santé répète que tout est sur la table. Comme dans les grandes échéances fondatrices de 1945 ou 1958, il n’est que temps, alors, de la renverser.
François Aubart
À lire aussi dans ce dossier :
I – À votre santé !
II – « La sobriété en santé mentale ? De l’indécence. »
III – Médicaments : les riches et les pauvres (1ère partie)
IV – Vieux : Sobriété ou pertinence ?
V – Médicaments et sobriété : À la rencontre des inégalités (2e partie)