« La sobriété en santé mentale ? De l’indécence. »
Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Unafam (Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) n’est pas franchement en colère. Elle est simplement lassée de dresser les mêmes constats.
Ce jour-là, elle sort d’une réunion au ministère de la Santé pour évoquer le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), où elle a pu noter qu’il n’y avait presque rien sur la santé mentale. « Juste un petit paragraphe sur la prévention, mais c’est tout. Aujourd’hui, il y a une priorité donnée aux personnes âgées », note-t-elle. Mais qu’importe…
Le discours qui envahit la scène publique autour de la sobriété la ferait presque sourire. « Parler de sobriété en santé mentale ? Cela frise l’indécence. C’est un terme qui ne s’applique vraiment pas à la santé mentale. En médecine, cela peut faire référence à ces examens médicaux qui se multiplient sans intérêt pour le patient, ou à ces gens qui font, comme on dit, du nomadisme médical en multipliant les rendez-vous chez le médecin. Mais dans notre domaine, il y a un tel manque de soignants que la qualité des soins est déjà fortement altérée. Cela fait des années, et cela se poursuit et s’aggrave, en particulier dans les centres de crises où tout s’effondre. Mais ce qui est grave, c’est que cette crise atteint maintenant de plus en plus le médico-social, et comme ce secteur était déjà en grande difficulté… »
La présidente de l’Unafam prend l’exemple des Groupes d’entraide mutuelle (GEM) qui ont été créés par la loi, des groupes gérés et animés par des malades. « De plus en plus de GEM ferment. Une pétition circule, bon nombre de ceux qui y travaillent n’ayant pas pu bénéficier du Ségur de la santé. C’est cela, la situation : la crise. Ce qui nous remonte du terrain, c’est une dégradation en cascade des soins. Les hospitalisations sont de plus en plus courtes, les patients en ressortent sans être stabilisés, et on le sait, s’il n’y a pas une bonne préparation de la sortie, la situation va se dégrader, de nouveau, très vite. »
Et si on parlait plutôt de pertinence des soins que de sobriété dans les soins ? « Parler de pertinence, ce n’est pas la même chose. Cela veut dire un partage des responsabilités. Comment va-t-on réorganiser l’ambulatoire ? Aujourd’hui, il y a tellement de rapports qui s’accumulent, disant ce qu’il faut faire. Or tout cela reste lettre morte. Et pourtant, ajoute-t-elle, il se passe des choses, peu de choses certes, mais quand même. Sans faire de vagues, dans leur coin, en toute discrétion, il y a des équipes qui innovent. Ce n’est pas qu’une impression. Des jeunes psychiatres tentent, mais comme ils sont très peu entendus, j’ai le sentiment qu’ils se disent “vivons cachés”. »
Des gouttes d’eau, à ses yeux. « Aujourd’hui, on nous ramène toujours à l’équilibre budgétaire, et cela d’autant plus que l’on rentre dans une période critique. On est dans la sobriété des financements, mais si cette sobriété s’abat sur des secteurs comme le nôtre où l’on est déjà proche du zéro, si on baisse donc un tout petit peu, on va se rapprocher de la pénurie. »
Voilà. Parler de sobriété, pour cette responsable, n’a pas de sens. Et pour la petite histoire, le 10 octobre prochain sera la Journée de la santé mentale. Comme chaque année, l’Unafam sort un baromètre de la situation. « Entre stagnation et dégradation » était le constat dressé l’année dernière. Cette année, ledit baromètre s’est concentré sur la fratrie face à la maladie d’un des membres de la famille. Amer constat : les trois quarts des personnes interrogées « se sentent seules face à la maladie de leur proche, 84% évoquent les difficultés lors des prises en charge, et à peine 7% ont confiance dans le futur ». On est loin d’un avenir sobre…
Éric Favereau
À lire aussi dans ce dossier :
I – À votre santé !
III – Médicaments : les riches et les pauvres (1ère partie)
IV – Vieux : sobriété ou pertinence ?
V – Médicaments et sobriété : À la rencontre des inégalités (2e partie)