Les vieux, qu’ont-ils à dire ?

Quelle drôle d’année les vieux viennent de passer ! Cela avait commencé tambour battant, à l’automne, avec le livre scandale sur Orpea, mais cela risque de se terminer cet été avec le retour de l’indifférence sur le sujet, sans projet de loi, mais avec bien sûr trois ou quatre rapports commandés par le gouvernement.

Rappelons pour mémoire : en mars, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) ont lancé une Mission nationale d’appui sur la modernisation des Ehpad. Au même moment, Élisabeth Borne chargeait la députée socialiste Christine Pires Beaune d’une mission « visant à évaluer les dispositifs destinés à limiter le coût de la prise en charge en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ». En avril, le gouvernement a annoncé qu’il lançait une mission sur le droit de visite aux personnes âgées qui vivent en Ehpad.
Parallèlement, le serpent de mer de la loi sur le grand âge s’est terminé en eau de boudin. À l’image de la députée macroniste Monique Iborra, rapporteuse de la proposition de loi de la majorité dédiée au « bien vieillir », qui a finalement renoncé à l’être en mai dernier. « J’avais mis deux conditions pour être rapporteure : que le texte soit enrichi et qu’il soit une étape avant une grande loi sur le grand âge. » Ce ne fut pas le cas, et elle a démissionné de son poste.

Ehpad ou pas ?

Le scandale d’Orpea n’a pourtant pas été vain. Certes, ceux qui rêvaient que les dénonciations du livre de Victor Castanet signaient la mort annoncée de cette forme de prise en charge de la grande vieillesse peuvent être déçus. Les Ehpad ne vont pas disparaitre. Ils existent et il n’y a aucun mouvement d’ampleur pour demander leur fin. Reste qu’il a été posé clairement le fait que ces Ehpad ne pouvaient rester sans contrôle dans le monde des financiers. L’affaire Orpea a révélé des comportements ahurissants et une gestion d’une brutalité extrême. Orpea est passé, depuis, sous le contrôle de la Caisse des dépôts consignations et pour la suite, tout est à construire. Avec une question : les Ehpad, publics ou privés, sont-ils réformables ?

Instance de vieux pour les vieux ?

Rien pour les vieux sans les vieux…C’était le mot d’ordre et le souhait du CNaV, que nous avons lancé à plusieurs, il y a un an et demi, avec un objectif premier : une instance pour les vieux. À la différence des personnes handicapées, dont la voix est portée auprès du gouvernement par le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), aucune instance n’est en effet consultée au sujet des politiques publiques qui concernent les vieux. « Nous voulons faire monter la parole des plus âgés, qu’on arrête de parler en leur nom », résumait parfaitement Francis Carrier, président et fondateur de l’association Grey Pride.
Sur ce point, ce n’est pas encore une réussite. Le ministre de la Solidarité a un jour repris à son compte cette idée, mais le lendemain il l’a oublié. Pourquoi cela traîne-t-il ? Cela tient-il au fait que la vieillesse n’est pas une identité et que de ce fait une parole collective a du mal à trouver sa cohérence ? Ou bien est-ce le fourmillement d’associations autour du grand âge, avec en plus le lobbying incessant de certaines très liées au monde des Ehpad, qui a réussi à noyer le poisson en diluant toute parole des vieux ? Ou bien est-ce le positionnement du CNaV, trop autocentré à l’heure où les valeurs de solidarité tentent de reprendre le dessus ?

Dans ce contexte, le CNaV s’est recentré sur le projet d’un contre-salon. Le contre-salon des vieilles et des vieux, c’est-à-dire trois jours de rencontres et d’échanges, où chacun pourra venir exposer son projet, le soumettre à la critique d’autres, le comparer à ce qui se fait ailleurs, ou simplement discuter de ses besoins, et ceci en dehors de tout aspect commercial. C’est un très beau projet qui, en passant, pourra faire un croc-en-jambe salutaire aux marchands du temple de la Silver economy.

Qu’a-t-on à dire ?

Au final, les vieux ont beau être de plus en plus nombreux dans notre société, le monde de la vieillesse reste transparent, atomisé, aussi complexe que la vie en elle-même. Les vieux sont variés, de toutes les couleurs, ne se ressemblent pas, comme le montre le livre de Philippe Bataille. Être vieux ne donne pas une identité. Être vieux ne rend ni plus combatif ni plus collectif. Différents niveaux de vulnérabilité se suivent et/ou se superposent, selon l’âge (vieux ou très vieux), selon l’entourage (isolé ou entouré), l’argent (pauvre ou riche), mais aussi selon l’état de la santé de la personne (dépendante ou pas).
Que faire dès lors ? Il n’y a, en tout cas, rien attendre, du moins pour le moment, des politiques. On peut regretter que les débats sur la retraite n’aient ainsi pas fait avancer les débats sur la vieillesse, ni sur la prise en charge, ni sur son financement, encore moins sur la place des vieux dans notre société ; pire les inégalités de santé risquent d’être augmentées par cette réforme.

Aujourd’hui, les vieux n’existent toujours pas comme acteurs publics. Mais le veulent-ils ? Qu’ont-ils, finalement, à dire, au reste de la société, quand on voit aujourd’hui dans quel état de vulnérabilité le monde se retrouve ?

Éric Favereau