Le CNaV investit la Cartoucherie

Il y a des vieux, beaucoup de vieux. Et nous ne sommes, pourtant, pas dans un Ehpad. Il y a des jeunes vieux, des plus âgés, des solitaires, des couples, des retraités actifs, il y en a une centenaire même. D’autres sont déjà un peu fatigués et marchent avec précaution. Il y a une foule de 300, peut-être plus. Et c’est inédit dans ce lieu magnifique qu’est la Cartoucherie, vaste théâtre planté en plein bois de Vincennes aux bords de Paris, un lieu où l’hospitalité est une règle de vie.  

Un théâtre rempli

Il y a, au final, une jolie surprise. Ce lundi 14 février 2022, ils ou elles sont venus pour cette première rencontre du Collectif national autoproclamé de la vieillesse (CNaV, dont VIF est partie prenante). Certains craignaient la distance, d’autres redoutaient la pluie, les sceptiques se disaient que les vieux n’aimaient pas trop sortir en fin d’après-midi en plein hiver. On se trompait. Ils ont répondu à l’appel. Des anonymes, des associatifs, des proches, des amis, des lointains, des intéressés, tous emmitouflés dans leurs manteaux avec leur passe vaccinal à la main, sans souci aucun pour le montrer.    

Ils sont arrivés. Et l’hôte du lieu, Ariane Mnouchkine était là pour les recevoir, les guider, les faire patienter avant de les faire entrer dans le grand théâtre, qui, ce lundi-là, faisait relâche. Ariane M., toujours vigilante, soucieuse que son lieu unique ne devienne pas un endroit anodin comme un autre. Et il ne l’a pas été.  

Les premiers mots d’Ariane M ont donné le ton : « C’est un peu notre défaite si nous sommes là. La vieillesse est inimaginable. Nous n’avons pas su, lorsque nous avons eu 20 ans, imaginer la vieillesse. Nous n’y avons pas cru, nous avons laissé les autres la construire à notre place. Si nous l’avions imaginée, nous aurions agi en conséquence et nous n’aurions pas eu à être ici ce soir. »

Des mots simples qui sonnaient justes. Indéniablement le premier responsable de la médiocrité actuelle des politiques sur la vieillesse, ce sont nous, les vieux. On a laissé les autres – ronds de cuir comme experts, médecins comme administratifs -, souvent animés de bonnes intentions, décider à notre place. On les a laissé construire des lieux concentrationnaires, on leur a donné carte blanche pour changer nos petites maisons de retraites en Ehpad hors de prix, et offrir au passage au monde de la finance le soin d’en tirer quelques bénéfices. On les a laissé nous donner des droits virtuels, qui existent sans qu’on y ait accès. On les a laissé construire des villes sans hospitalité, on a laissé la grande vieillesse sombrer dans la grande dépendance. On a regardé avec fascination le débarquement du numérique, sans s’interroger sur celles ou ceux qui, vieilles ou vieux, n’y auront pas accès. 

Et nous, les futurs vieux, nous avons regardé ailleurs.  

Pour tenter de rattraper le chemin perdu, une idée toute simple a prévalu à la naissance du CNaV : « Rien pour les vieuxsans les vieux ».  Bref, leur donner la parole. Les écouter. Voir ce qu’ils souhaitent, entendre les difficultés, et bien sûr combattre les blocages et inerties en tous genres. 

Lors de cette assemblée de la Cartoucherie, nous avons d’abord évoqué les résultats préliminaires des groupes de travail du CNaV (à lire ici). Puis entendu des témoignages, et des questions, des échanges, comme des cris de colère. Cela est parti dans tous les sens, mais il y a eu à l’évidence l’envie de parler. L’envie de donner du poids au slogan « Rien pour les vieux sans les vieux ». Nous avons parlé de la fin de vie, nous nous sommes inquiétés que la polémique sur les Ehpad ne débouche sur rien. Un élu a évoqué l’importance des services publics, détaillant le projet d’un bus intercommunal qui va à la rencontre des vieux. « Pourquoi les vieux sont-ils privés d’accès à la culture ? C’est aussi important que le droit au logement », a argumenté un autre. « Que nous les vieux ayons aussi un temps de parole entre nous », a lâché un homme au chapeau, quand une jeune femme abordait, elle, l’importance du maintien de liens intimes et affectifs, « encore plus avec l’âge »

Puis une lettre aux candidats à l’élection présidentielle, lue par Dominique Gillot, a été présentée : 
« Nous, vieux de plus de 65 ans, représentons 20% de la population et ce nombre ira croissant. Beaucoup d’entre nous ont de plus en plus de mal à se sentir encore intégrés à la société. Il n’est plus possible que cela continue ainsi. Nous sommes des citoyens à part entière, nous entendons faire respecter nos droits et continuer d’être considérés comme des actifs au sein de la collectivité. Nous ne voulons plus être ignorés, culpabilisés, jamais consultés sur les décisions importantes socialement, plus particulièrement celles qui nous concernent. 
Au nom de tous nos pareils, nous voulons que cela change. 
Notre première revendication est la création d’un Conseil national consultatif des personnes vieilles (CNCPV). Pour que les politiques publiques prennent davantage en compte nos spécificités. Le CNCPV fonctionnera comme le CNCPH pour les personnes avec handicap. Il devra être consulté sur tous les projets de loi, règlements et décisions publiques pouvant avoir un impact sur nos vies. Il agira aussi comme aiguillon auprès de toutes les administrations et collectivités territoriales pour les inciter à une meilleure prise en compte de nos besoins et attentes. »  

La création de ce conseil est la première proposition de la lettre, qui en contient six au total (texte intégral à lire ici). « Il y a des candidats auxquels je n’ai pas envie de l’adresser », a réagi en douce Ariane M. Le sociologue Michel Wieviorka a conclu sur une interrogation : « Et après ? Que faire ? Devenir une association ? Réfléchir à des représentants ? Se structurer, mais comment ? » Questions éternelles. Mais quelque chose est né. Un premier pas.