L’exposition « Histoires paralympiques – De l’intégration sportive à l’inclusion sociale » est encore à l’affiche du Panthéon jusqu’au 29 septembre 2024.
L’exposition est forte, impressionnante, et juste. Parrainée par Ludivine Munos, triple médaillée paralympique de natation, responsable de l’intégration paralympique au Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, et Ryadh Sallem, athlète paralympique multisport, membre de l’équipe de France de rugby fauteuil. Elle présente à travers plusieurs panneaux didactiques, films, vidéos, photos et affiches d’époque, ainsi que des objets tels que des fauteuils à trois roues, prothèses, mascottes des 3 derniers Jeux, l’histoire des Jeux paralympiques depuis les épreuves sportives précurseurs de Stoke Mandeville organisées par le Dr Ludwig Guttmann jusqu’aux Jeux 2024.
Né en 1899 à Burg Tost, alors ville de l’Empire allemand aujourd’hui dénommée Tozek et située en Pologne, le Dr Guttmann est considéré comme l’un des pères du mouvement paralympique. Ayant fui l’Allemagne nazie trois ans après les Jeux de Berlin (1936), il rejoint la Grande-Bretagne où il reçoit la nationalité britannique en 1945. En sa qualité de neurologue internationalement reconnu, il se voit confier par le gouvernement britannique après la Seconde Guerre mondiale, la création et la direction du National Spinal Injuries Center, établissement de référence dédié aux blessés de guerre atteints de lésions médullaires implanté à Stoke Mandeville, petite ville située à 60 km de la capitale britannique.
Dans cet établissement, il développe à la fois de nouvelles thérapeutiques de rééducation pour les patients tétraplégiques et paraplégiques et une approche globale de la personne où l’activité physique et sportive contribue, à côté des soins, à la réhabilitation du patient, démontrant dans sa pratique le lien entre sport et santé au sens où l’entend l’Organisation mondiale de la santé, de bien-être physique, mental et social.
Dans cette idée alors très novatrice, il encourage ses patients à pratiquer des activités sportives accessibles comme le tir à l’arc, le tennis de table et le basket en chaise roulante, et constate ô combien la pratique sportive contribue à redonner confiance et estime de soi aux patients, à renforcer leurs capacités motrices et leur autonomie, à les accompagner pour un retour à la vie civile et, pour certains même, à la reprise d’une activité professionnelle.
En juillet 1948, le jour même de l’ouverture des JO de Londres, il organise la première compétition de tir à l’arc entre blessés amputés et en fauteuil vétérans de la Seconde Guerre mondiale, à Stoke Mandeville. Ce qu’on appellera « les Jeux de Stoke » seront organisés chaque année et s’internationaliseront à partir de 1952.
Au cours des années 1950, le Dr Guttmann élargit aussi le champ des épreuves à d’autres disciplines sportives, nous permettant a posteriori de considérer les « Jeux de Stoke » comme précurseurs des Jeux paralympiques.
L’exposition du Panthéon présente des images des Jeux de Stoke, des photos et films de patients avec le Dr Guttmann, le témoignage de la fille du Dr Guttmann et d’une ancienne patiente soignée par le célèbre neurologue.
Les premiers « Jeux Para-olympiques » sont organisés en 1960 à Rome à l’initiative conjointe du Dr Antonio Maglio et du Dr Guttmann. Ces premiers jeux sont une déclinaison internationalisée des Jeux de Stoke portée par les deux médecins.
Né en 1912 au Caire, le Dr Maglio dirige un centre de rééducation pour paraplégiques fameux proche de Rome. Il est très introduit dans les cercles du pouvoir italien, et partage avec son confrère l’idée que le sport peut contribuer avec une rééducation moderne et active, à la fois physique et psychologique, à la réhabilitation de patients paraplégiques, et l’utopie d’organiser des Jeux internationaux de haute compétition réservés à des personnes lourdement handicapées. C’est grâce à ces deux pionniers visionnaires que naît, à côté (para en grec) des Jeux Olympiques, le mouvement des Jeux paralympiques.
Du soin par le sport au sport de compétition adapté au handicap
Les premiers Jeux paralympiques de Rome se déroulent du 19 au 24 septembre 1960, six jours après les 17es JO de Rome. Ils réunissent 400 athlètes, tous blessés médullaires en fauteuil, originaires de 23 pays. La France y envoie une délégation de 40 athlètes. Huit sports organisés en 57 épreuves étaient au programme : escrime, athlétisme, basket, natation, tennis de table, tir à l’arc et jeux de fléchettes, billard snooker, pentathlon. Lors de la cérémonie de clôture, le Dr Guttmann – qualifié alors de « Coubertin des paralysés » par le Pape Jean XXIII, déclare : « La grande majorité des compétiteurs et de leur encadrement ont totalement intégré le sens des Jeux de Rome, une nouvelle forme de réintégration des paralysés dans la société et le monde du sport. »
À partir de 1960, l’organisation des Jeux paralympiques se cale sur le calendrier des JO, tous les 4 ans. Suivent ainsi les Jeux de Tokyo, en 1964, encore réservés aux athlètes paralysés en fauteuil. Mais une « rencontre sportive tous handicaps » est pour la première fois organisée en marge de cet évènement.
En 1968 les JO se déroulent à Mexico, mais la capitale mexicaine n’est pas en mesure d’organiser des jeux pour les paralysés, qui auront alors lieu à Tel-Aviv. Ils restent toujours réservés aux athlètes en fauteuil, fidèlement au modèle établi par le Dr Guttmann, d’ailleurs convié aux cérémonies. Pourtant, une évolution est en cours : d’une part la classification des handicaps est profondément remaniée, d’autre part les jeux deviennent plus des épreuves olympiques où s’affrontent de vrais champions que des démonstrations de rééducation et compétitions entre patients. On passe d’une logique de soin par le sport à une logique de sport de compétition adapté au handicap.
750 athlètes participent aux Jeux de Tel-Aviv, représentant 29 pays. De nouveaux sports sont intégrés au programme : basket féminin, 100 m en fauteuil, jeu de boules lawn bowls. À l’image des JO, les Jeux comportent une cérémonie d’ouverture et des cérémonies de remise de médailles dans un stade en présence de près de 10 000 spectateurs, symbole complet de l’olympisme.
Il faut attendre les années 1970 et 1980 pour que le concept s’ouvre aux différents handicaps et déficiences, en catégorisant les athlètes selon leurs capacités et incapacités dans une logique d’équité entre les athlètes et d’égalité des chances dans les compétitions.
Ainsi, les Jeux paralympiques de Heidelberg en 1972 organisés en marge des JO de Munich – de triste mémoire – s’ouvrent par exemple aux déficients visuels sur deux épreuves : le goalball (ancêtre du cécifoot) et le 100 mètres sprint.
L’exposition retrace aussi des moments des Jeux de Rome et des Jeux qui ont suivi au travers de documents emblématiques et panneaux pédagogiques explicatifs sur les différentes épreuves et l’histoire des Jeux paralympiques.
Le terme « Jeux paralympiques » n’est adopté qu’en 1984 par le CIO (Comité international olympique). Le mouvement paralympique se structure avec la création du Comité international paralympique en 1989 qui, en se rapprochant du CIO, prône l’organisation des JO et des Jeux paralympiques sur le même lieu et dans la même temporalité – objectif réalisé seulement à partir de 1996 aux Jeux d’Atlanta pour la totalité des handicaps. Ces deux étapes sont structurantes pour le mouvement paralympique.
La distinction entre handicap physique et handicap psychique ou intellectuel est emblématique lors des Jeux de 1992, où les épreuves pour handicapés physiques se déroulent à Barcelone et celles pour handicapés mentaux à Madrid.
En 2000, aux Jeux de Sydney, éclate le scandale de l’équipe espagnole de basket accusée d’avoir intégré en son sein des joueurs en réalité non déficients intellectuels, qui jettera l’opprobre sur la participation des déficients mentaux aux épreuves paralympiques et conduit à partir de 2001 à l’exclusion des handicapés mentaux. Il faut attendre 2009 pour la mise en place d’un nouveau protocole de contrôle d’éligibilité des participants déficients mentaux élaboré à l’initiative de la Fédération internationale des sportifs handicapés mentaux, pour qu’en 2012, ces sportifs soient réintégrés aux Jeux paralympiques à Londres.
Aujourd’hui et depuis 2012, trois disciplines seulement sont autorisées aux déficients mentaux : la natation, l’athlétisme et le tennis de table. Le handicap psychique reste sous-représenté aux Jeux paralympiques. En paranatation par exemple, il existe 10 catégories d’épreuves pour les handicapés moteurs, 3 pour les handicapés visuels et 1 pour les personnes atteintes de déficit intellectuel, ayant un QI (coefficient intellectuel) inférieur à 70-75.
Même si les handicapés psychiques où les personnes atteintes de Trisomie 21 pratiquent le sport, la reconnaissance du déficit mental ne vaut pas reconnaissance des déficits psychiques par le Comité paralympique pour le sport de haut niveau. Le Comité paralympique justifie sa position par le niveau de performance exigé dans les épreuves paralympiques. L’intégration de tous les handicaps psychiques est un objectif pour la Fédération française de sport adapté et la Fédération internationale de sport adapté. Le chemin est encore long…
Une autre catégorie de handicap n’est pas intégrée aux Jeux paralympiques : ce sont les sourds-muets. Mais là il s’agit d’une volonté du Comité international des sports des sourds (CISS) qui crée en août 1924 les premiers « Jeux silencieux » qui vont se tenir tous les 4 ans. Après avoir intégré le Comité international paralympique en 1989, le CISS le quitte en 1995 de manière définitive (à ce jour en tout cas).
L’ambition des Jeux paralympiques de Paris 2024 est bien exprimée par Tony Estanguet, le président du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris : « Nous souhaitons mettre les Jeux au service d’un projet de société inclusif et solidaire, qui donne sa chance à chacun. » C’est dans ce principe que les Jeux donnent une place importante à la parité (5 500 athlètes hommes et 5 500 athlètes femmes aux JO), au handicap (4 400 athlètes porteurs de handicaps moteurs sensoriels, psychiques aux JP, une déclinaison de la mascotte Phryge en version porteuse de handicap), aux personnes racisées et aux personnes LGBTQI+, notamment lors des cérémonies emblématiques d’ouverture et de clôture.
Un des succès de Paris 2024 est d’avoir ainsi réussi à mettre au même niveau les JO et les JP au cœur de la ville, au niveau médiatique (49 millions de téléspectateurs ont suivi les JP), sportif (un record de médailles) et culturel (au travers des cérémonies d’ouverture et de fermeture et des lieux choisis pour certaines épreuves – le Grand Palais, le Champ-de-Mars, le Trocadéro, les Invalides, le parc du Château de Versailles), et d’en avoir fait en même temps un évènement d’ampleur, populaire, rassembleur et festif.
Pascal Forcioli