Le mardi 31 mai 2022, Emmanuel Macron a promis une « mission flash » sur les urgences et la crise à l’hôpital, confiée à François Braun, président de Samu-Urgences de France.
Le nombre de rapports concernant la santé en France est considérable, mais il est malheureusement inversement proportionnel au nombre de réformes incontournables qu’il aurait fallu entreprendre à l’annonce des mauvaises nouvelles successives caractérisant son fonctionnement entropique. Je ne dirai jamais que ces réformes seraient faciles à décider ni à mettre en œuvre, mais, en revanche, le manque de courage politique des derniers présidents de la République est constant. Plus le retard s’accumule et plus les décisions seront difficiles, d’autant que, dans l’évolution de notre système de santé un nouveau facteur se fait jour, concernant la démotivation des soignants, médecins, infirmiers, et de tous les statuts professionnels de l’hôpital, et leurs départs exponentiels ces dernières années.
Une énorme source d’économies
La perte de sens du travail arrive en tête du top 50 des causes de départ des soignants. Il n’est pourtant pas difficile de comprendre qu’en devenant interchangeable, un soignant (médecin ou infirmier) va perdre en efficacité, puisqu’il ne vérifie plus lui-même les effets de ses soins auprès des patients, puisqu’il ne fait plus bénéficier lesdits patients de la solidité de sa relation d’aide et de soutien, et puisqu’il ne participe plus à coup sûr aux réunions d’équipe, véritables creusets de formation continue des professionnels. Pourquoi ces trois raisons fondamentales ont-elles perdu leur fonctionnalité ? Parce que si, au moment où j’arrive au travail, j’apprends que je suis muté, même quelques jours, dans un autre service, dans une autre spécialité, dans un rôle que je maîtrise mal, et tout cela pour régler la question primordiale des effectifs de sécurité d’un hôpital, alors mon investissement dans mon équipe, ma spécialité, mon service en sont fragilisés d’autant. Le sens du travail qui faisait la substantifique moelle des métiers du soin disparaît comme par (dés)enchantement, et je la mets directement en lien avec la destruction du système organisationnel des soignants.
Cette hypothèse s’est vérifiée lors des hospitalisations dramatiques des malades du Covid 19, période pendant laquelle, tout le monde le reconnaît, et même le président, les soignants obligés de s’auto-organiser en raison des confinements successifs les privant du recours des managers, ont su franchir ces épreuves efficacement et avec l’impression qu’ils étaient libérés d’un poids administratif outrancier, et dont beaucoup ont pris conscience à cette occasion. Les soignants se sont retrouvés débarrassés de très nombreuses tâches inutiles et prenant un temps trop important au détriment des patients (questionnaires incessants, enquêtes de qualité, formulaires bureaucratiques…), dues en grande partie au fait que les cadres ne connaissant pas le métier avaient besoin de nombreux renseignements pour asseoir leurs décisions.
Bref, des équipes soignantes s’autogérant sans le recours à des cadres extérieurs à leur fonctionnement sont venues démontrer, si besoin en était, qu’une énorme source d’économies serait possible, et même souhaitable en réorientant les salaires de tous ces organisateurs nuisibles au travail du soin, vers les soins eux-mêmes. Voilà de quoi augmenter les salaires des soignants et leur permettre de retrouver du sens à leur travail sans la démagogie d’un rapport flash de plus, et sans augmentation démesurée des budgets consacrés à la santé.
Une médecine dans et avec la cité
Mais il ne suffit pas de déplorer, encore faut-il proposer des solutions. Il se trouve que la psychiatrie a connu une période centrée sur une organisation révolutionnaire, la psychiatrie de secteur, qui avait le souci d’accompagner et de soigner les patients, quelles que soient leurs pathologies, leur origine socio-familiale et la durée de leur prise en charge. Lorsque cette doctrine a été mise en place dans un grand nombre de départements français, les effets attendus ont été spectaculaires, réduisant les hospitalisations à temps plein au strict nécessaire, inventant des dispositifs de soins (visites à domicile, rapports complémentaires avec les partenaires médicaux, sociaux et sociétaux, hospitalisations à temps partiel, traitements ambulatoires…) autant que de besoin, et surtout, diminuant considérablement les recours aux services d’urgences des hôpitaux généraux et spécialisés. Pour ce faire, les psychiatres et leurs équipes ont dû se défaire progressivement d’un hospitalo-centrisme pour inventer une médecine dans et avec la cité et ses représentants. Il me semble que les médecins, généralistes et spécialistes, auraient grand intérêt à réfléchir sur un tel modèle qui est extensible à d’autres pathologies que la seule psychiatrie, et notamment à toutes les pathologies comportant une part de chronicité dans leur patientèle. La chronicité n’est pas une abomination, c’est un fait clinique. La refuser, c’est refuser de voir et d’accueillir une grande partie de la médecine, toutes spécialités confondues. En tenir compte en adaptant le système de soins à ses particularités serait un progrès considérable sur le plan humain, puisque la continuité des soins deviendrait le principe organisateur des soins, interrompant ainsi le cercle vicieux des fausses urgences aux conséquences néfastes sur toute la chaîne des soins. Mais nos comptables devraient évaluer les économies considérables que cette nouvelle organisation de « médecine de secteur » pourrait permettre à notre système de réaliser sans engager de dépenses intenables.
Pierre Delion