Des mots sur de vieilles photos

Partenaire du Contre-salon des vieilles et des vieux, VIF proposait sur son stand de commenter différents clichés de « vieux » d’un autre temps.
Cinq femmes et un homme font part de leur réaction.

Une femme : « Elle fait la gueule la petite. Est-ce elle qui a forcé pour s’asseoir contre pépé ? Est-ce lui, qui, d’un ton autoritaire lui a dit : « viens-ici ! » ?
Vu sa mine d’enfant puni, je pencherais pour la seconde hypothèse. La pauvre est écrasée effarée. Quel temps !
L’époque est à l’autorité, n’est-ce pas ? Le papi ne parle pas. Il donne des ordres. C’est une époque de taiseux avant 1939-45. Les vieux ne parlent pas. Surtout lorsqu’ils sont rentrés de la guerre.
Et en plus, il pique avec sa barbe. Il n’est pas rasé. Ça fait mal pour les petits ! Alors la petite a été contrainte de l’embrasser : « 
Oh, il pique fort ! » Malheureuse petite. »
Madame s’éloigne des photographies : « Et les odeurs ! »

Une femme : « Quelle idée que ces maillots de laine qui pendent aux fesses et qui grattent. Quand j’y pense, j’avais honte, oui. La honte… car j’avais 12 ans… et les seins qui poussent, les seins à l’air. Combien de centimètres faut-il attendre pour les couvrir ? Voilà un sujet de société qui pendant longtemps était silencieux. Et je vais vous dire. J’avais un trou dans le maillot. Évidemment, là où je pense. J’avais honte. Non mais. Quand j’y pense. »

Une femme : « Ah non, je ne veux pas être comme ça pris en photo. Et je ne veux pas être vieille comme ça. Vous ne montrez que des vieux vieux. Et en plus à l’hospice. Ça se voit. Au petit néon au-dessus du lit. Mais pourquoi le prendre au lit ? C’est pas un mourant quand même. À moins que ce soit une visite exceptionnelle de quelqu’un qui habite loin. Ah ! L’hospice. Ah les Ehpad, ça non, pas question. Les enfants doivent s’occuper des vieux.
Je ne veux pas regarder les autres photos car je ne veux pas être comme ça. Je veux vivre là. Maintenant. Pas vieillir comme ça. Non NON. Je vous laisse.
 »

Un homme (travaillant pour des associations) : « Je vois bien, ces photos, avant-guerre, après-guerre. Aussi les années 60 avec l’appareil 6 ou 12 clichés, donc la cérémonie de « LA photographie ». Attendre, choisir les vêtements, bien s’habiller, se maquiller, choisir le siège, le fauteuil. C’est l’envers du bombardement d’aujourd’hui.
Là, cette dame dans sa cuisine, c’est un archétype. C’est ma préférée. La cuisine est à elle. C’est son intimité. Elle sourit et prend toute la place avec ses bras et coudes… et son tablier. « Chez moi », avec la mise en plis sur fond de papier peint et d’appareils modernes. C’est incroyable cet endroit : « La discussion dans la cuisine ». C’est un haut lieu de décision au féminin. Vous n’avez pas d’autres photos dans des cuisines ? Il faudrait faire comme Depardon (avec sa caravane) ou Varda. Ne prendre que des cuisines. J’aime bien cette idée.
J’ai plein de photos comme ça, des caisses, grâce aux associations. 
»

Une femme : « Je vois qu’ils sont devant la porte en bois de l’étable, nous sommes certainement en Corse, et son mari est plus jeune, peut-être son fils avec la petite. C’est une photo de départ, le photographe avant de partir supplie une photo car la vieille n’est pas facile, ça lui déplaît cet appareil, à quoi bon, ah ces gens de la ville, drôle de bétail !
Moi je suis célibataire sans enfant. J’ai ma caisse de photo de mes parents, et je m’emmêle là-dedans, impossible de savoir qui est qui et où. Je n’ai pas d’enfant et mes neveux, cela ne les intéresse pas du tout. Mais pas question de jeter. Je ne veux pas. Mais je ne sais pas quoi en faire. Je me demande où je pourrais les déposer. Ça intéresserait quelqu’un vous croyez ?
J’aime bien ces photos. J’aime bien les voir. Je n’ai que ça. (Je n’ai que ça en partage dit la chanson). 
»

Une femme : « Ah, cette photo me plaît bien, vous savez pourquoi ? Sa chevelure. Le reflet très blanc de ses cheveux. Oh j’aimerais avoir ce blanc-là. Ce blanc très blanc épais. Mais je ne suis pas assez vielle encore, 65 ans ! Il faut que j’attende !
Sur toutes vos photos, il n’y en a qu’une seule qu’on dirait « naturelle », une scène intérieure, c’est celle-ci ou la fille maquille sa mère, on ne voit jamais ça en photographie, or, c’est très très fréquent qu’on maquille sa mère. Moi, je l’ai fait souvent : on l’arrange. On arrange sa mère. On lui fait du bien. Jamais un homme ne ferait ça. Il n’y a que les femmes pour ça.
La fille maquille, elle ne le fait pas pour la photo.
 »

Une femme : « Je suis aide à domicile à Paris mais j’habite à Saint-Ouen. Ces photos, je les vois dans les albums, ce sont surtout des photos de femmes, énormément. Elles sont parlantes pour ça. Les hommes se planquent. Tandis que les femmes posent. Elles se montrent non sans résistance presqu’à contrecœur. On le voit, la photographie ne va pas de soi. Elle inquiète.
Je travaille 25 heures semaine, les repas, les promenades, pour 3 personnes différentes. Et c’est plus confortable que de travailler dans un Ehpad. Je cherche des clients, et je fais affaire avec eux, jours/horaires/tâches. J’aime bien. Je touche 1 100 euros mois, ça me suffit. Et il m’arrive de voir des photos comme ça. Ou alors je vois des scènes comme ça, comme celle du maquillage. Ou le vieux et l’enfant. Ou là, dans la cuisine.
Beaucoup de femmes comme moi quittent les Ehpad pour se mettre « à leur compte » car ainsi on est plus libre. On n’a pas une cheffe qui dicte toutes les heures. Les filles en ont marre de ça. La moitié démissionne au bout d’un an. 
»

Jean-François Laé