Convention citoyenne : à quoi diable cela peut-il servir ?

Responsable du pôle Santé de Terra Nova, Mélanie Heard s’est penchée sur la réforme éventuelle des lois sur la fin de vie, et sur la Convention citoyenne.
Un peu lassé par les positions péremptoires des uns et des autres, par les jeux d’ego loin de la réalité du terrain, VIF a voulu discuter avec elle de cet exercice de démocratie et de débat qu’est la convention citoyenne (lire aussi sur le site de Libération) . Est-ce que cela sert à quelque chose, et comment faire pour que cela soit autre chose qu’un jeu convenu de rôles ?

Mélanie Heard

Une bonne Convention citoyenne, c’est, dit-on, une bonne question. Là voilà : « Le cadre d’accompagnement de fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Qu’en pensez-vous ? Est-elle pertinente ?
Mélanie Heard : Dans une convention citoyenne, il faut que la question permette aux citoyens une délibération précise, qu’elle soit bien renseignée, et que cette délibération débouche sur une véritable aide à la décision. Dans le cas présent, on peut se féliciter que la question retenue ne soit pas trop abstraite et qu’elle ne conduise pas à des réponses philosophiques trop lointaines. D’un autre côté, la question reste imprécise sur le « cadre » qui est évoqué. Est-ce le cadre légal ? Ou bien le cadre plus général de la fin de vie ? Il est primordial de préciser ce point car il y a une vraie ambigüité. Et d’ailleurs, si c’est plutôt le cadre général qui est visé dans cette question, alors on voit mal la valeur ajoutée d’une convention citoyenne, car ce dispositif délibératif est adapté pour apporter une réponse précise à un débat de société concret et bien défini.

L’autre inquiétude que vous évoquez souvent tourne autour des clichés, des idées toutes faites qui circulent à un moment donné, sans évaluation, ni aucune pertinence. Est-ce le cas ?
M.H. : C’est un enjeu central dans le dispositif d’une convention avec 150 participants. Ces citoyens ont été tirés au sort, ils sont ignorants du sujet, et il est crucial qu’ils reçoivent une bonne information. C’est-à-dire d’abord une information balancée, sans parti pris. Et ensuite, une information précise. Les idées fausses, clichés et rumeurs sont fréquentes sur un sujet aussi sensible. Il faut veiller à les en préserver. Le choix des éléments de formation « initiale » qui seront mis à leur disposition à leur arrivée, la façon dont les animateurs conduiront les débats, le choix des personnes qu’ils auditionneront : ce sont des éléments clés pour tout dispositif de ce type, et ici c’est particulièrement sensible parce que le sujet est assez polarisé et sensible.

Et sur ce point, vous êtes rassurée ?
M.H. : Le contexte est complexe : aucun modèle étranger n’est transposable à notre pays, mais il est important de disposer d’informations précises sur la réalité des cadres légaux, et aussi des pratiques réelles que l’on observe dans les pays qui ont dépénalisé l’aide active à mourir. De quoi parle-t-on réellement ? Qui sont les patients concernés, combien sont-ils ? Il circule des rumeurs sur des « épidémies » d’euthanasie en Belgique ou aux Pays-Bas, par exemple. Or en Belgique, l’aide active à mourir a concerné 2 699 décès en 2021, soit moins de 3% des décès de l’année, dont 70% concernaient des plus de 70 ans et plus de 60% des patients atteints de cancer. Il faut faire une pédagogie précise sur l’état de ces pratiques, pour éclairer la délibération des 150 citoyens et le débat public.
En Espagne, une rumeur dit que ce serait la catastrophe, que les médecins s’opposeraient à la loi votée en 2021. Il y aurait eu 180 décès concernés par une aide active à mourir entre juin 2021 et juin 2022 : est-ce beaucoup, est-ce peu ? En tout cas moi, je n’ai pas vu de raison de penser que ce chiffre est imputable à une révolte des médecins, et je pense qu’il est raisonnable de considérer qu’une pratique nouvelle met du temps à trouver son rythme. Observons les exemples étrangers pour savoir de quoi on parle concrètement, et ainsi parvenir à nous poser les bonnes questions, pas pour polariser les débats en cherchant des réponses préfabriquées.

L’autre cliché est de faire référence à une éventuelle boîte de Pandore : dès qu’on ouvrirait un peu la porte, les dérapages se multiplieraient…
M.H. : C’est exact, et sur ce point, il y a trois types de faux dérapages. Il y a les arguments de type « pente savonneuse » : on ouvre, on ne sait pas où l’on s’arrêtera, on commence à autoriser pour les adultes, puis on autorise l’aide médicale à mourir aux mineurs, puis aux malades psychiatriques, etc. C’est l’argument conservateur classique, comme l’a montré Albert Hirschman. Il est classique et banal, et il concerne toutes les lois. Faisons confiance aux 150 citoyens qui sont là pour en délibérer, puis aux parlementaires dont c’est justement la mission propre, pour définir le cadre légal précis des conditions matérielles et procédurales qui préviendront les potentielles dérives. Cela est valable pour toutes les lois.
Et puis il y a le risque que la question posée à la Convention soit parasitée par des problèmes exogènes, comme la crise de l’hôpital, ou le mal vieillir dans la société. Ce sont des questions qui se posent et cela peut pirater le débat. L’intérêt du dispositif délibératif de la Convention citoyenne est d’isoler un sujet, et de le prendre au sérieux pour lui-même ; il faut faire attention à ce qu’il ne soit pas noyé dans des considérations politiques certes importantes, liées au sujet, mais distinctes de la question posée.

Et les mots utilisés ? Y a-t-il un risque de confusion dans les termes employés ?
M.H. : La question du lexique est toujours importante. Et en particulier dans ce domaine : une partie des termes utilisés sont techniques et l’enjeu est que les citoyens de la Convention les maîtrisent au mieux. Ce n’est pas simple
L’autre difficulté vient du constat que le vocabulaire des « valeurs » est beaucoup mobilisé dans ce débat. Or, certaines de ces valeurs sont utilisées dans des sens différents. La valeur « solidarité » sert pour dire l’accompagnement dans le monde des soins palliatifs et cette même valeur est utilisée pour ceux qui prônent l’euthanasie en signe d’aide à ceux qui demandent à mourir.
Enfin, la question lexicale se pose dans ce que l’on entend par évolution législative. Qu’est-ce que cela veut dire ? Veut-on une dépénalisation ? Ou veut-on l’ouverture d’un nouveau droit ? Veut-on amender le cadre existant, au-delà de la sédation profonde et continue jusqu’au décès ouverte par la loi de 2016, pour enrichir nos capacités de réponse à ceux qui demandent à pouvoir mourir et que ce cadre a laissés de côté ? Ou offrir une nouvelle liberté ? Ce sont des questions qui sont à la fois profondes et précises, qui méritent une délibération mesurée, et qui demandent de la modestie.

Recueilli par Éric Favereau et François Meyer

Dossier « Fin de vie » en libre accès sur le site de Terra Nova