Main courante et moindre geste
Nombreux sont les métiers de « relation à la personne » qui, d’une manière ou d’une autre, tiennent une main courante – des notations régulières sur des situations qui méritent signalement ou de brefs comptes rendus d’entretiens, d’appels téléphoniques, de soins corporels, d’accompagnements, de prises en charge de jeunes mineurs ou de personnes âgées. Ces notations soutenues permettent de retransmettre les « événements mineurs » d’un espace, rendre compte d’un « état social ou psychique » d’un usager d’une institution, de recueillir des détails de la soirée nécessaires à retransmettre à l’équipe de nuit, par exemple. À cette occasion, les écrits déplient les événements, un à un et jour à jour, pour « rendre compte de ce qui s’est passé », réexaminer plus tard une évolution dans un sens ou un autre.
On se demande parfois « ce que font » les professionnels dans ces institutions. La lecture de la main courante offre l’avantage de se sentir proche d’un métier, de ses actions et contre-actions, ses dilemmes et ses hésitations. « On s’y croit », dit-on.
Cette fois, nous sommes dans un établissement pour handicapés moteurs et, pour certains, psychiques, pour lesquels l’attention doit être élevée jours et nuits afin de prévenir non seulement tout accident mais de prendre soin de chaque usager dans sa singularité.
Infirmières, aides-soignantes, surveillantes, aide-ménagères, auxiliaires se succèdent et font les 3X8 pour maintenir une haute vigilance. Entre les repas, les sorties, les ateliers peinture, la salle de musique, la chambre, les soins, les corps circulent très lentement et la moindre difficulté sera notée dans la main courante du service afin que les collègues suivants s’y ajustent au mieux. Mesurer, porter, laver, changer, reprendre, déplacer, défaire, remanier, écarter, glisser… le toucher est au maximum et se fait avec tact. Car le toucher « affecte » le patient.
Dans ce cadre, accorder « le tact » dans « le contact » est un vrai métier. Il ne va pas de soi. Il se prépare, s’envisage, s’apprend.
« Prendre en charge » n’est pas qu’une formule administrative, elle inclut cette dimension habile et sensible du soutien, le respect des préférences, la prise au sérieux des sensibilités émotionnelles.
Cette main courante que nous lisons ne parle que de ces sensibilités aux corps. Et pour cause ! Le moindre déplacement suppose tout une organisation, la moindre crise de larmes une délicatesse sensible, les douleurs des règles une rapide obligeance, jusqu’à la bande de contention qui pourra nous choquer : mais comment faire autrement ?
L’écriture quotidienne s’attache à des actions et des gestes, des postures physiques et des manières d’agir concrètement, minute par minute, heure par heure. Incroyable ballet de mouvements corporels des professionnels enveloppant ceux des usagers, ou chaque geste compte, chaque tenue de main sa raison.
Alors écoutons ces gestes au raz du quotidien qui, se répétant, font comme une chaîne de conduite, nous obligent à réfléchir au soin, à la précaution, la vigilance, au souci du confort sensible des usagers. Entendre ces gestes, c’est se glisser au plus près de l’action la plus infra-ordinaire et néanmoins la plus exigeante.
Jean-François Laé