« Attendez… Dire que c’est une maladresse, ce n’est pas très sérieux… Ce sont des grandes personnes qui ont écrit ce décret, elles savent ce qu’elles font ou ce qu’elles écrivent. » Marie‑Jeanne Richard ne se montre pas dupe. La présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes, malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) ne prend pas à la légère, ni pour une petite bavure, la rédaction de ce décret sur l’irresponsabilité pénale qui a mis en colère la quasi-totalité du monde de la psychiatrie.
Dans ce décret, publié au Journal officiel en pleine accalmie politique, le 24 avril, figure en effet dans le préambule une phrase lourde de conséquences, précisant que l’article 706‑120 s’applique sur la responsabilité de la personne « lorsque le trouble mental ne résulte pas d’une intoxication volontaire de la personne constitutive de ces nouvelles infractions, mais qu’il résulte, par exemple, de l’arrêt par celle-ci d’un traitement médical ». Juste quelques mots, glissés à la cachette. Des mots pour dire, en somme, qu’un patient, lourdement atteint d’une pathologie mentale et qui arrêterait son traitement, pourrait être considéré comme pénalement responsable de ses actes.
L’air de rien, cet ajout sidère. Et les réactions, dans un communiqué signé par tous les responsables de la santé mentale en France, sont à la hauteur de la surprise : « Nous déplorons qu’un décret si lourd de conséquence pour les patients n’ait pas été concerté en amont avec les professionnels, les usagers et leurs familles. L’introduction dans ce décret d’application de la notion d’arrêt du traitement médical, qui n’existe pas dans le code de procédure pénale, représente une régression et n’est pas admissible, d’autant que le Conseil d’État, dans son avis sur la loi rendu en juillet 2021, spécifiait sur cette question : “l’arrêt du traitement psychoactif ne pourra pas davantage être incriminé”.»
Punir les patients parce qu’ils sont malades
Une colère manifeste : « L’exécutif a choisi de pénaliser l’arrêt du traitement et établit de fait un lien de causalité entre cet arrêt et le passage à l’acte. Ce point constitue d’une part un raisonnement simplificateur concernant la dynamique d’un passage à l’acte, et d’autre part ne tient pas compte du fait que les patients n’ont pas toujours conscience de leurs troubles, ce qui est une caractéristique de certaines maladies mentales… Garder cette disposition revient à accepter de punir les patients parce qu’ils sont malades. Cet ajout constitue par ailleurs une atteinte grave aux droits du patient. Tout patient a le droit de choisir de suivre ou non un traitement médicamenteux. De nouveau, les personnes souffrant de troubles psychiques sont stigmatisées et n’ont plus cette liberté élémentaire. Cela crée une contrainte démesurée pour les patients souffrant de troubles psychiques, à moins que la prochaine étape soit de pénaliser l’arrêt par exemple des traitements antidiabétiques ou antiépileptiques… Nous dénonçons, conclut le communiqué, avec la plus grande force cette dérive inquiétante contraire aux droits et libertés et qui stigmatise une fois de plus les personnes vivant avec des troubles psychiques. »
Devant le flot continu des réactions, la Chancellerie a fait la naïve, prétextant l’erreur, évoquant « une maladresse », sans dire d’ailleurs si elle allait revoir son décret. Marie‑Jeanne Richard n’est, de fait, pas vraiment surprise : « Quelque part derrière ce décret, il y a la volonté répétée de limiter la notion d’irresponsabilité. Cette notion gêne les pouvoirs publics. On est dans un pays où la maladie mentale est stigmatisée. On essaye de toujours limiter cette notion, et voilà que l’on se met à considérer que l’arrêt des traitements va rendre responsable le patient. C’est ne rien connaître à la maladie mentale. »
La question de l’arrêt des traitements en psychiatrie est compliquée (même si cela touche aussi les autres champs de la médecine, en particulier les traitements au long cours des maladies chroniques). « Les effets secondaires des traitements sont souvent très lourds, et souvent occultés par les psychiatres. Certains psychiatres vont être à l’écoute, d’autres pas. Mais écouter le patient prend du temps. Et dans les CMP1, ils n’ont pas le temps. C’est souvent là que cela se joue, en consultation. Les arrêts de traitement concernent rarement des patients en hospitalisation. »
La psychiatrie n’a pas le temps
En psychiatrie, les traitements sont souvent lourds. Ils peuvent assommer, faire trembler, entraîner de fortes prises de poids, voire diminuer tout désir. Ce n’est ni anodin, ni coulant de source. Et il arrive que le patient s’interroge tout à fait légitimement sur la balance entre les bénéfices et les inconvénients de tel ou tel traitement (lire dans VIF le témoignage repris du livre Survivant en psychiatrie). « Il y a des endroits où les psychiatres sont vigilants. Il peut y avoir aussi des pairs aidants, c’est-à-dire d’anciens malades qui vont aider le patient. Mais derrière tout cela, il faut un psychiatre qui ne soit pas uniquement dans la prescription en cinq minutes. Cela nécessite d’être discuté, or n’oublions que la psychiatrie d’aujourd’hui n’a pas le temps… Encore moins dans les CMP. » Sans parler des patients qui ne sentent pas malades, et qui ne voient de ce fait aucune justification dans la poursuite d’un traitement. « Tout cela montre l’absurdité de mettre un lien entre arrêt de traitement et responsabilité pénal », ajoute Marie-Jeanne Richard.
Dès lors, comment prendre au sérieux les discours des pouvoirs publics sur la nécessaire déstigmatisation de la maladie mentale ?
Éric Favereau
1) Centres médicopsychologiques