La rentrée théâtrale fut un régal pour le spectacle vivant. Pour ne citer que ce que j’ai eu le plaisir de voir et de partager : Hamlet, revu par le Teatro La Plaza, The Confessions, d’Alexander Zeldin, En addicto, de Thomas Guillardet à l’affiche du Festival d’automne, et la reprise de Welfare, adaptée par Julie Deliquet. Il y en a eu d’autres, en particulier qui parlent des vieux ou les font parler. Les pauvres, les addicts, les pas comme les autres sont un peu moins présents.
Hamlet
D’abord, Hamlet revisité et réécrit par une jeune troupe péruvienne qui a pris le sujet comme un prétexte. Qu’est-ce qu’être humain ? Qu’est-ce qui sépare les humains dans leurs différences ? Cette question assez basique reste universelle. Hamlet est une pièce sur l’éthique, un devoir moral, une injonction catégorique qui hante Hamlet. Il doit agir… et devant cette injonction, irréfutable, il reste immobile, paralysé, effaré.
C’est cet impératif qui donne sens à sa vie et lui ôte tout sens.
Le bien connu « To be or not to be » est la question de l’homme confronté à sa possible ou impossible liberté. Qu’est-ce qu’être un humain dans notre réalité d’aujourd’hui déjà en devenir ? Être et exister. To be or not to be, une question, préalable à toutes les questions.
Dans cette œuvre, le spectre, au travers des questions qu’il pose à Hamlet, le renvoie à l’action. Le spectre, c’est la vengeance mais aussi l’espoir d’une société meilleure, d’une société égalitaire et juste. Il est une représentation de l’impératif catégorique : Que dois-je faire ?
La réponse, c’est l’action. Quelle action ? Le spectre, dans une autre de ces apparitions, pose une autre question : « Que puis-je espérer ? »
Atteints de trisomie 21, les comédiens du Teatro La Plaza, reprennent pour eux-mêmes, dans leurs différences, ce « To be or not to be », ils conduisent les spectateurs à redécouvrir ce texte de leurs points de vue dont sont exclus les « neurotypiques ». Ils les invitent cependant à participer à la pièce, mais restent toujours maîtres du jeu. Danses, acrobaties, rap, beaucoup de formes d’expression sont invitées sur scène. Leur existence est en jeu. Le spectateur en sort plus fort dans son désir de vie. Après cette démonstration, qui peut encore penser que seuls les humains « neurotypiques » ont à contribuer à notre compréhension du monde et de la société ?
The confessions
Dans ces dernières créations – Une mort dans la famille et The confessions –, Alexander Zeldin s’est inspiré d’entretiens qu’il a eus avec sa mère, très âgée, pour amorcer un cycle de travail autour du récit de vie et de l’autofiction. Une mort dans la famille était à la limite du soutenable, et lors de la représentation à laquelle j’avais participé, beaucoup de spectateurs vieillissants avaient quitté la salle. Ce récit nous parlait de la fin de vie, en particulier à l’Ehpad. The confessions raconte l’avant, comment il est possible de s’émanciper d’une classe moyenne, rompre avec un destin de femme au foyer, les belles et sinistres rencontres de la vie, puis le comment il serait possible de penser la fin de sa vie. Deux femmes se partagent le plateau, une vieille, la narratrice, et une plus jeune qui vieillira sur scène, beaucoup d’hommes, compagnons, souvent maladroits. La démonstration ne pousse pas toujours à la nuance, mais c’est le jeu. La narratrice, Alice, est étonnante. Comme dans Une mort dans la famille, elle se met à nu. Aucune provocation, la violence de la vie est compensée par une grande douceur dans la manière d’en parler. Et c’est fort de ce partage que le spectateur sort plein de « ses confessions » qui sont pour partie un peu les siennes.
En addicto
J’avais découvert Thomas Quillardet dans Tristesse et joie dans la vie des girafes, un joli spectacle dit « pour enfants » de Tiago Rodrigues. Le social n’était pas loin. Dans En addicto, il partage son expérience d’une immersion de six mois dans le service d’addictologie d’un hôpital. Seul en scène, il est tous les personnages à la fois, femme, homme addicts, et soignants. Tout est juste, joyeux et sombre en même temps, puis tragique puisque le service va fermer pour de mauvaises raisons, celles que nous connaissons. C’est le destin de ces « patients » et de ces soignants qui est en jeu. Proposer ce propos dans le cadre du Festival d’automne est à saluer. Le spectacle n’est pas facile, l’auteur et interprète, formidable, mais j’en suis sortie, en colère. Comment un tel aveuglement est possible ? Ces lieux ne seraient pas assez « rentables », leur utilité serait encore à prouver ? Nous, les VIF, avons encore, après d’autres, beaucoup de travail à faire, au moins pour rendre compte de la force de ces lieux de soins, comme le montrait le documentaire L’Adamant.
Welfare
Enfin retour sur Welfare, adapté par Julie Deliquet, dans la Cour d’honneur à Avignon, qui n’a pas été reçu très positivement par les critiques. Effectivement, rien de facile dans cette adaptation, et pourtant, c’est avec émotion que j’ai participé à cette journée ordinaire d’un guichet unique ouvert aux pauvres en recherche de maigres ressources, juste pour survivre. Rien de manichéen, il n’y a pas les bons et les méchants, mais de simples humains, qui se croisent dans des places différentes. Un propos décalé car inspiré d’un documentaire d’il y a cinquante ans, tourné aux USA ? Malheureusement non. Sans-abris, apatrides, travailleurs pauvres, mères célibataires, vieux, sont des représentations très proches de ceux qui sont contraints de rechercher des aides humaines pour survivre, ceux que certains qualifient avec mépris d’« assistés », ainsi que les professionnels qui les reçoivent et tentent avec plus ou moins de facilité et de fatigue de répondre à la demande. C’est pathétique et tristement réaliste.
J’étais juste heureuse que ces réalités soient mises en scène dans ce lieu, et partagées par les nombreux spectateurs. La troupe de comédiens est formidable, la mise en scène, au cordeau. Je souhaite seulement que le spectacle vivant grand public, comme il s’est développé au cinéma depuis quelques années, soit aussi le lieu de mise en gestes et en mots des réalités violentes qui sont au cœur de notre société.
Geneviève Crespo