Et si on en débattait ?
Les vieux, les vieilles sont à part.
Hier, on les disait parfois bruyants, indésirables, alcooliques, irrécupérables.
Aujourd’hui, ils peuvent devenir fragiles, malades, endormis, absents jusqu’à en perdre la tête. Ils peuvent, au passage, également devenir des objets rentables, sources d’affaires, de revenus et de bons profits.
Hier, c’était l’ordre social qui régnait chez les vieux. Aujourd’hui, on serait tenté de dire que l’ordre médical s’est imposé en transformant la vieillesse en maladie. On ne parle plus que de médicalisation. Mais il y a aussi un ordre financier qui s’est glissé, régentant le monde privé des maisons de retraite devenues Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), en imposant ses taux de profits et ses marges de manœuvre. Une évolution déroutante. Mais avec toujours un même point fixe : le silence des premiers intéressés.
Revenons un instant en arrière, grâce au livre de l’historienne Mathilde Rossigneux-Méheust, Vieillesses irrégulières, sorti récemment aux éditions La Découverte. Comme le raconte Philippe Artières dans une critique sur le site En attendant Nadeau, nous sommes en août 2014, et tout s’ouvre : « Un château célèbre, une gigantesque et historique maison de retraite qui ferme, et en même temps des archives qui s’ouvrent. On y voit une épaisse liasse composée de petites fiches attrape le regard. On y lit : “Buveur impénitent”, “impulsif et violent”, “malade mentale”, “insulte au personnel”, “trublion de la pire espèce”, “à ne jamais reprendre”. Ces formules expéditives stigmatisent des centaines de pensionnaires étant partis, volontairement ou non, entre 1956 et 1980. »
« Mathilde Rossigneux-Méheust mène une passionnante enquête sur l’indiscipline dans les institutions pour personnes âgées », note Philippe Artières. « Elle fait surgir les pratiques gestionnaires d’une institution en charge de personnes âgées. Le fichier de Villers-Cotterêts, ainsi décortiqué, permet d’entrer de plain-pied dans une histoire discordante de l’État social et de mettre en lumière la persistance de la disqualification des vieux pauvres. Qui sont ces femmes et ces hommes âgés qui ont suffisamment dérangé pour susciter un dispositif disciplinaire de papier spécifique pendant plus de vingt ans ? Quelle histoire nous livre l’administration de ces “indésirables” ? »
En lisant ce livre, nous nous sommes dit qu’aujourd’hui, il n’y a certes plus de fichiers des indésirables, mais il y a les dossiers médicaux, les classifications selon les degrés de dépendance, avec des échelles d’évaluations. Comme le GIR (groupe iso-ressources), qui correspond au niveau de perte d’autonomie d’une personne âgée : le GIR 1 est le niveau de perte d’autonomie le plus fort, et le GIR 6 le plus faible. Il y a ces diagnostics qui valent disqualification, comme celui d’Alzheimer où celui qui est catalogué n’a plus droit à la parole. Le vieux, devenu malade, est enfermé dans un tiroir, dans une case.
Comment en est-on arrivé là ? Quel glissement s’est opéré ? Sans parler du bouleversement qui s’est produit, parallèlement, avec l’arrivée du privé dans les maisons de retraite, devenues des Ehpad. Là, c’est la loi du moindre coût qui bien souvent prévaut, comme l’a montré le livre Les Fossoyeurs. Qu’est-ce qui a conduit le monde des finances à investir si fort le monde de la vieillesse ?
De tout cela, nous débattrons le mercredi 7 décembre. Avec donc Mathilde Rossigneux-Méheust, historienne, mais aussi le professeur Olivier Saint-Jean, gériatre, et Laurent Garcia, cadre infirmier qui a été un des lanceurs d’alerte dans l’affaire Orpea.
Éric Favereau
Les débats de VIF : mercredi 7 décembre 2022, à 18h00, 92 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris.
Mathilde Rossigneux-Méheust, Vieillesses irrégulières. Des indésirables en maison de retraite (1956-1980). La Découverte, coll. « À la source », 220 p., 20 €