Dans une tribune publiée le 30 septembre dans le journal Le Monde, cinq spécialistes de la maladie d’Alzheimer critiquent vertement le refus de l’Agence européenne du médicament (EMA) d’autoriser la mise sur le marché du lécanemab, nouveau « traitement » de la maladie d’Alzheimer ; ceci en raison de sa balance bénéfice/risque qu’elle estime défavorable. Cet anticorps monoclonal dirigé contre les dépôts amyloïdes (qui seraient LA cause de la maladie, ce dont on peut douter) a montré, sur des essais cliniques pourtant taillés sur mesure, une efficacité faible à très faible en moyenne. Sa tolérance peut être qualifiée de médiocre et certains de ses effets indésirables de graves.
Les arguments développés, bien que classiques en la matière, méritent commentaire.
Tout d’abord, les signataires notent que « Malgré les bénéfices cliniques modérés, les recherches en cours identifient des patients qui en bénéficieront le plus… ». Eh bien, attendons justement les résultats de ces recherches pour décider sur des faits scientifiquement établis.
Vient ensuite le classique raisonnement zététique : cela ne marche pas car on n’utilise pas le médicament à un stade assez précoce. À quel stade le donner alors ? Chez toutes les personnes à risque (bonjour la balance bénéfice/risque !) ? Dès les premiers symptômes potentiellement évocateurs ? Là encore, la protection des personnes, souvent fragiles, impose qu’une telle décision ne soit prise que sur les résultats d’études probantes menées spécifiquement.
Au passage, on appelle les « modernes » à la rescousse : « L’approche conservatrice de l’EMA… prive les patients et les médecins d’un traitement particulièrement innovant. » Ah ! L’innovation ! Que de raccourcis commet-on en ton nom ; pour un malade et le médecin, justement, l’efficacité et le progrès, c’est quand même mieux que le concept.
Le dernier argumentaire est carrément étonnant : privant l’industriel d’une bonne part du retour sur son investissement, la décision de l’EMA risque de « freiner la dynamique de la recherche clinique dans l’UE… qui a été négligée durant des décennies… » Ainsi, le fameux pari « risqué » de l’industrie pharmaceutique (secteur qui reste à ce jour le plus rentable pour les actionnaires, tous secteurs confondus) doit devenir : quand ça marche, on prend ; quand ça ne marche pas, on prend aussi pour financer le tour suivant.
Quant à la recherche « négligée en Europe », difficile à avaler à la vue des milliards d’euros que l’Union lui a consacrés. Y compris en France avec le plan Alzheimer (2008-2012), le plan Maladies neurodégénératives, l’effort des fondations spécifiques ou non (ex : Fondation pour la recherche Médicale) ; sans compter, justement, sur cet argument, le maintien du remboursement particulièrement couteux de médicaments « anti-Alzheimer » que l’on savait « depuis des décennies » peu ou pas efficaces. Là, cela devient indécent.
Bernard Bégaud