Par le hasard d’un calendrier printanier, le procès en appel du Mediator® se clôt – douze ans après que le scandale fut rendu public – et au même moment, le professeur Didier Raoult, auquel, il n’y a pas si longtemps, la république sanitaire et la République tout court faisaient allégeance, est lâché, haché de toutes parts. A priori, hormis le fait qu’elles concernent le médicament, il est difficile de rapprocher ces deux affaires, d’autant moins que dans le cas du Mediator®, la tromperie a démoli plusieurs milliers de personnes.
Pourtant, l’une et l’autre illustrent des facettes bien françaises des crises sanitaires ; entre autres, l’attentisme, la connivence et le traitement en surface du sujet évitant toute réflexion, réforme de fond et remise en cause du système lui-même.
La tromperie des laboratoires Servier, occultant que leur autoproclamé « antidiabétique » était apparenté à deux médicaments « coupe-faim » retirés du marché en 1997 en raison de leur toxicité, est, si elle est avérée, inexcusable. Il reste que le ministère de la Santé puis l’Agence du médicament ont, volontairement ou non, participé à la tromperie en délivrant, puis confirmant à plusieurs reprises (y compris quelques années à peine avant que le scandale n’éclate) un brevet de médicament antidiabétique au Mediator®. De même, on se scandalise, à juste titre, des profits indécents réalisés par le laboratoire avec son médicament. On ne s’étend guère sur le fait qu’il s’agit d’un cadeau public : le prix du Mediator® a été fixé et maintenu par une commission ministérielle (le CEPS) sur la base d’une évaluation publique préalable (celle de la Commission de la transparence) ; ces mêmes instances ont fixé le taux de remboursement de ce médicament par l’Assurance maladie au plus haut possible : 65% et 100% s’il était prescrit dans l’indication « diabète » qu’on lui avait généreusement accordée. Des taux réservés aux médicaments dont l’efficacité et l’utilité ne font aucun doute alors que le Mediator® appartenait à la catégorie peu ébouriffante des médicaments « proposés comme traitement adjuvant de… ».
De mémoire, on ne connaît pas d’autre exemple d’une telle bienveillance, du moins durant ces vingt-cinq dernières années. Difficile également de croire que les millions de prescriptions ont toutes été faites dans l’intention de « traiter » un diabète et non comme coupe-faim de remplacement après le retrait du marché de ses cousins le Ponderal® et l’Isoméride®. Le tout aura duré plus de trente ans. Hélas, la mise sous les projecteurs n’aura pas servi à confesser et corriger des turpitudes que l’on voit à l’œuvre dans d’autres dossiers, restant, pour l’instant, dans l’ombre.
Le cas de Didier Raoult relève en bonne part, mais en moins caricatural et dramatique, de la même gestion partiale ou partielle. Comment expliquer que dans un pays doté d’une législation assez drastique, en tout cas précise, sur les recherches biomédicales on puisse mener, en dehors des règles, ce qui s’apparente in fine à un essai géant sans rappel à l’ordre, audit ou inspection de la part du gendarme sanitaire ? La machine, y compris judiciaire, se met en marche plus de trois ans après les faits. À un moment où « tout est consommé ». C’est à la fois bien mystérieux mais surtout déroutant. Car les textes et la jurisprudence sont clairs et interdisent, sans trop d’ambiguïté, même « en temps de guerre », de qualifier de traitement ou de relation normale de soin ce qui relève d’une recherche. Une telle qualification impose alors, dans tous les cas, de satisfaire aux obligations prévues par le législateur, visant avant tout à la protection des personnes incluses dans l’étude ou l’essai. L’histoire dira peut-être si ce long retard de la réaction publique est à mettre sur le compte du pouvoir de persuasion hors du commun de Didier Raoult ou de la visite que lui a rendue le président de la République le 9 avril 2020, interprétée par un système, dont l’indépendance n’est pas le point le plus fort, comme une onction de protection.
Bernard Bégaud