Étonnante et presque touchante interview de François Braun dans la livraison de Mediapart du jeudi 7 mars 2024. Celui qui fut ministre à peine un an donne, presque benoîtement, ce qui est pour lui la principale raison de son éviction : Il n’était « pas assez présent dans la presse, et n’intervenait pas assez à l’Assemblée. Il nous faut un cogneur à ta place » (dixit Élisabeth Borne). Lui qui, dans l’interview, resoulève la sempiternelle question de savoir s’il faut à la Santé un technocrate conseillé par des professionnels de santé ou un professionnel de santé conseillé par des technocrates, ne semble pas avoir compris ou admis que, depuis quelques années, le fond n’est plus le sujet, on s’en fiche même complètement. Le défi, c’est de tenir et faire tenir jusqu’aux échéances électorales grâce à une communication tous azimuts. La feuille de route est claire : vendre du vide avec un talent tel que l’on y croirait, sauf quelques grincheux qui, de toutes façons, ne voteront pas pour nous. La téléréalité plus que celle du terrain, en somme. Plus de temps à perdre dans les dossiers, les réunions et les réformes. François Braun s’étonne que l’on ne l’ait pas laissé entreprendre la grande refondation des instances ministérielles à laquelle il tenait, semble-t-il, beaucoup. « Pour qui il se prend ? On le sait que ça dysfonctionne. Allez ! Hop ! Assez perdu de temps : Chez Ruquier ! » Le message à faire passer est pourtant simple : le système de santé est notre priorité, nous lui avons consenti un effort budgétaire sans précédent ; si l’on observe encore quelques dysfonctionnements (faut pas aller trop loin quand même), cela va globalement mieux, y compris aux urgences. Là, c’est plus difficile. Il faut s’entraîner une heure tous les matins devant un coach pour l’asséner avec aplomb et sérieux ; d’où l’intérêt des pros de la com’. La Santé, c’est devenu un métier. Métier qui est quand même un peu entré chez François Braun puisqu’il qualifie les 19 milliards d’euros d’investissements supplémentaires du Ségur de la Santé « d’historiques ». Rappelons qu’il s’agit d’une enveloppe théorique (gare au rabot !) étalée sur dix années, qui concerne l’ensemble du système de santé et pas seulement les hôpitaux ; rapporté à son budget décennal (plus de 2 500 milliards d’euros), cela reste, somme toute, bien modeste (0,76% au mieux).
Plus loin, François Braun s’interroge sur la compatibilité du temps court du politique et du temps long de la réforme. Là non plus, pas besoin de se creuser les méninges, la réponse est dans son interview. Quand on lui demande ce que sont devenus les grands chantiers de réforme martelés à grands coups de vases communicants – celui, par exemple, du système de santé, le Conseil national de la refondation, les Assises de la pédiatrie –, l’ex-ministre répond avec une franchise qui, rétrospectivement, fait peur : « Je ne sais pas ce que c’est devenu », « C’est dommage », « Je vais poser la question ». Sur la gouvernance hospitalière : « J’ai commandé un rapport dont je n’ai pas eu le temps de recevoir les conclusions. Depuis, aucune remise officielle n’a été organisée. Ça ouvrait la voie à un tandem médecin-directeur à la tête des hôpitaux. Tout le monde était d’accord. » Tout le monde, vraiment ? Faudrait demander à ceux qui ont remis les mains sur les manettes, à commencer par l’actuel ministre ayant passé onze années à la tête de la Fédération hospitalière de France et aux directeurs du cabinet Vautrin, anciens du cabinet Bachelot, qui a justement marginalisé le pouvoir médical dans les hôpitaux avec le succès que l’on sait.
De fait, notre actuel et cinquième ministre de l’ère Macron, semble bien mieux dans le moule : « Il va falloir arrêter le discours misérabiliste sur l’hôpital », assénait-il tout de go le 5 mars à l’Assemblée nationale. Refuser de parler des points noirs est incontestablement la solution la plus simple. Une consigne, hélas, non suivie par François Braun qui reconnaissait dans Mediapart : « Les urgences ne vont pas bien, y compris dans des grands CHU » ou « le système de santé est miné par la logique concurrentielle, etc. » Dangereux d’avoir un « porte-parole » qui connaît la réalité du terrain et qui ne porte pas la bonne parole.
Bernard Bégaud