« Tout s’est bien passé », ou comment tuer le suicide assisté

Il y a quelque chose qui cloche dans le dernier film de François Ozon. On en ressort mal à l’aise sans trop savoir pourquoi. C’est probablement que l’on était venu voir un film servant la cause du suicide assisté, ce qu’il ne fait pas. Le suicide assisté y est réduit à un caprice de vieil homosexuel parisien, peu sympathique et enfant gâté. Pour qui, comme moi, ne connaissait pas le personnage ni n’avait lu le livre de sa fille Emmanuèle avant d’aller voir le film, André Bernheim y est en effet dépeint comme la caricature du mâle blanc dominant, riche et élitiste, persuadé de sa supériorité et totalement occupé de lui-même, si bien que le spectateur n’a guère envie de lui accorder sa mansuétude, ni de l’accompagner dans sa demande de mourir qui, malgré tout le talent d’André Dussolier, ne convainc pas.  

Or, accompagner quelqu’un dans un suicide assisté nécessite selon moi d’être absolument convaincu, au nom d’un sentiment fort et beau, l’amour par exemple. Sur ce point, les filles d’André Bernheim non plus ne sont pas convaincantes, trop agitées, trop en colère, avec une trop grande distorsion entre l’amour qu’elles prononcent (parfois) et leurs agissements au quotidien. Le seul personnage chaleureux et sympathique est celui que joue Hanna Shygulla, magnifique et très juste dans le rôle de la dame de l’association suisse qui préside au fameux suicide assisté. Mais la froideur est aussi le mot qui dépeint le mieux Claude, la femme d’André. Comme si tous ces gens, le cinéaste le premier, n’avaient jamais approché le désarroi que crée la proximité avec la maladie mentale, en particulier la mélancolie profonde dont est atteinte Claude, ou avec la maladie grave tout court, et la mort proche de surcroît. Enfin, l’argent coule à flots dans ce film, ce qui est dérangeant là encore, comme si le suicide assisté n’était accessible, ou demandé, que par des gens riches lorsque leurs conditions de vie ne leur conviennent plus parfaitement. Ici, les gens sont beaux, bien habillés, ils habitent de beaux appartements dans de beaux quartiers, ils vont dans les hôpitaux et les cliniques chics du centre de Paris, visitent les galeries de peinture sélectes du VIe arrondissement et déjeunent sur les quais de Seine, au Voltaire, où peu nombreux sont ceux qui peuvent y tenir cantine.  

Si Ozon avait voulu tuer le suicide assisté, il ne s’y serait pas pris autrement. Est-ce cela qu’il a visé ? Il semble que non puisque le film a été annoncé comme au contraire une ode au droit de choisir l’heure de sa mort et qu’il est aujourd’hui utilisé par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) dans toute la France pour provoquer des débats dans le but de faire avancer la cause. Le message principal du film devient alors malgré lui que le suicide assisté ne peut se concevoir que différemment de la façon dont il est montré là. S’il doit exister chez nous un jour, cela ne peut être que, bien sûr, si son accès est organisé de façon à être égal pour tous, mais surtout, s’il est préparé, accompagné, vécu dans une relation affective de proximité et de solidarité. Comme le propose si bien par exemple Élise Chatauret et sa troupe dans À la vie !, une pièce de théâtre qui tourne ces temps-ci sur ce même sujet de la fin de vie1.  

Ne réduisons pas le suicide assisté à une revendication banale, à laquelle on ne pourrait répondre que positivement au nom du sacro-saint respect dû à l’autonomie. Le sujet est trop grave. Les conséquences en sont ensuite trop lourdes pour les familles et la société dans son ensemble. Aucun de nous ne vit seul, délié de toute attache. Il devrait appartenir à celui qui porte une telle demande de convaincre ses proches de lui être solidaires par amour et respect pour lui. Un tel acte ne saurait se résumer à l’exercice de sa propre liberté, au mépris de l’effet qu’il fait aux autres. Puisque précisément il ne s’agit pas d’un suicide, mais d’un suicide assisté.  

Véronique Fournier

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