Le 17 février 2023, Roselyne Bachelot, ancienne ministre rendait hommage à Daniel Defert, lors d’une cérémonie du souvenir qui se tenait à la Mairie du XVe arrondissement.
« Daniel Defert, nous sommes orphelins. Celles et ceux qui ont eu la chance de vous connaître vous considèrent comme un père et puis, non, et c’est sans doute mieux, comme un frère.
Je me souviens de nos premières rencontres il y a maintenant trente-cinq ans. À cette époque qui semble maintenant si lointaine, nous, les militants de la lutte contre le sida, nous avions un profond sentiment d’injustice et d’impuissance. Il n’y avait alors que deux issues : le silence dans la solitude ou la révolte dans le bruit et la fureur. Vous rencontrer nous faisait alors comprendre que notre combat n’avait de sens que dans la communauté humaine. Une communauté humaine fondée pour vous sur « l’état de passion » qui vous unissait à Michel Foucault, pour moi, sur l’amitié absolue qui m’unissait à Christian emporté lui aussi par le VIH, parce que c’était eux, parce que c’était nous. Pour tant d’entre nous, notre engagement fut scellé par l’amour et l’amitié lui donnant ainsi une dimension déchirante mais irréfragable.
Il y avait une telle douceur dans votre force et une telle force dans votre douceur que nous étions séduits. Non par cette mauvaise séduction qui emprunte les chemins de la démagogie et de l’emprise mais entraînés par cette conviction simple et profondément respectueuse de la liberté de l’autre. Nous avions aussi le sentiment qu’avec vous, nous avions des outils de compréhension intellectuels et des moyens d’action opérationnels, tels ceux que vous avez mis en place en fondant Aides-France. Car il faut les deux pour mener un combat qui continue aujourd’hui. Bien souvent dans la dureté des luttes que j’ai menées, le Pacte civil de solidarité, l’accès sans discrimination aux polythérapies, la mise à disposition des tests d’orientation rapide en milieu communautaire, la sortie des personnes transgenres de la qualification de malades psychiatriques en gardant la prise en charge totale des processus de transition, alors que pleuvaient les injures et les mises à l’écart, un petit mot signé Daniel Defert arrivait. Si aujourd’hui mon fils Pierre, historien, consacre ses travaux de recherche aux associations de malades, c’est dans la continuité de nos engagements. Dans ce choix, les travaux et la personnalité de Daniel Defert ont été le moteur de la transmission.
On pouvait s’interroger sur cette capacité de Daniel Defert à rassembler des êtres qui ne partageaient pas ses engagements idéologiques. Il y avait évidemment la lumière et l’autorité de travaux immenses qui embrassaient tant de disciplines, la sincérité et la modestie de ses déclarations publiques, mais aussi un extraordinaire sens de l’humour qui mettait à distance les flagorneurs et les manipulateurs. J’emporte cette lumière comme un trésor.
Non, Daniel Defert ne nous a pas quittés. Dans ce monde de folie où les homosexuels, les transgenres, les femmes, les prisonniers, les personnes prostituées, les malades voient leurs droits fondamentaux bafoués, sont persécutés, torturés, assassinés, Daniel Defert nous appelle à ce combat d’humanité. Nous n’avons pas le droit de nous y dérober.«
Roselyne Bachelot