Au milieu d’un désastre dont on ne voit pas la fin, quoi de plus naturel que d’aller chercher l’espoir du côté du rêve et de faire semblant de croire à la pensée magique ? Durant les dix premiers mois de la pandémie, Didier Raoult, l’omniprésent, a pu incarner ce discours, être l’antidote que l’on attendait pour relativiser la menace, sa progression implacable, le rituel des chiffres de décès égrenés chaque soir comme une résignation.
L’hydromelchloroquine
À l’heure du bilan, malgré les scories, les erreurs (parfois énormes) d’appréciation et les contradictions, Didier Raoult aura été un des rares à avoir existé. À avoir combattu le conformisme de la bureaucratie sanitaire, à nous avoir fait croire un instant que ce virus made in China tuerait moins que les accidents de trottinettes. Qu’une fois la première vague passée, la vie reprendrait son cours normal. Chacun enviait les chanceux qui pouvaient bénéficier de son onction et de la potion magique : l’hydromelchloroquine qui réduit, si vous êtes contaminé, votre risque de décès des trois-quarts ! Ah ! heureux Marseillais ! Qui eut cru que la cité phocéenne était protégée par un druide ? Raoult l’Enchanteur. Un magicien doué de métamorphose et de pouvoirs merveilleux. Il existait, là-bas dans le Sud-Est, un État où les choses semblaient se passer comme elles auraient dû. Une pluie de tests permettait de savoir qui était malade et, si oui, un traitement magique leur garantissait de ne plus l’être.
Du coup, l’un des thuriféraires du druide a pu écrire sans sourciller que si l’on n’avait pas interdit l’accès à l’hydromelchloroquine, la France aurait compté à l’époque vingt-cinq mille morts de moins, ce qui ferait au moins cinquante mille aujourd’hui. Diantre !! En langage d’épidémiologiste, cela signifierait que le traitement interdit diviserait le risque d’évolution fatale par trois. La potion, si elle marche, ne pourrait avoir, on le voit aujourd’hui, qu’un effet bien modeste.
Peu importe, au-delà des dérapages de ses admirateurs, des démentis de l’histoire, Didier Raoult a existé, il a défendu une ligne qu’il aurait parfois été bon de suivre. Oui, nous étions en guerre, au bord de la rupture et il fallait agir en conséquence, tenter aussi ce qui n’est pas réglementaire dès lors que cela pourrait être une solution, une arme de plus.
Rien ne se passe, sauf le temps
Tenaillée entre la peur et l’exaspération, l’opinion avait besoin d’un héros. D’une parole que chacun peut comprendre, dans laquelle on part de l’objectif et non pas de la contrainte, de solutions et non d’interdiction, de bon sens et non du réglementaire. En face, les contradicteurs sont peu flamboyants, donnent l’impression de marcher en crabe. Ils semblent paralysés, se raccrochent au détail.
Un autre tour de force du magicien est d’avoir fait de cette pandémie virale un débat dans lequel le virus est, pendant longtemps, passé au second plan. On a fini par ne parler que de Raoult et de son médicament : l’hydroxychloroquine. Une polémique sans fin, surréaliste. Car l’Enchanteur a aussi le pouvoir de faire penser de travers les gens qui s’interrogent. Voilà les sages qui déraillent, les autorités qui n’en ont plus, les experts de la recherche clinique qui oublient l’essentiel, les règles de base. Les pourfendeurs se rapetissent. Chaque fois qu’ils ont voulu le contrer, ils l’ont remis en selle. Ils l’ont laissé seul en scène captiver le public, déchaîner les passions.
Pour l’hydroxychloroquine, la seule décision qui s’imposait dès février 2020 était de commanditer un essai clinique indépendant. On en avait plus que les moyens et les compétences. Rien ne se passe, sauf le temps. Pas d’essai d’envergure, à la place, plus de vingt initiatives, dans un parfait désordre, la plupart sans aucune chance de pouvoir conclure à quoi que ce soit. Des études souvent mal pensées, avec le médicament donné à un stade trop tardif de la maladie quand l’hydroxychloroquine, selon les dires du promoteur n’a plus aucune chance d’être efficace.
Un envoûtement surnaturel
Ce fiasco est peut-être le plus ahurissant des huit premiers mois de la pandémie. Comment le pays qui a inventé le concept de l’essai pragmatique, qui nourrit une armée de théoriciens et praticiens des essais cliniques, qui disposait d’un potentiel de recrutement considérable n’a pas été fichu de réaliser avant tout le monde, ou du moins tant qu’il était temps, un essai qui aurait permis de savoir dès le mois de mars 2020 et d’éviter cette polémique sans fin et, pour tout dire, pathétique ?
La recherche clinique française y aura laissé plus que des plumes. Humiliation suprême, on se met à l’écoute de l’étranger pour essayer de savoir. L’étude Surgisphere, suspecte dès la première lecture de l’article, devient la preuve tant attendue pour les autorités et les médias : l’hydromel ne sert à rien, pire, il tue ! Patatras… On le remet en selle une fois de plus, plus renforcé que jamais. Seul un envoûtement réellement surnaturel peut expliquer qu’un ministre, son entourage, ses agences sanitaires, ne se soient pas renseignés un minimum. Envoûtés, sans doute trop puissamment, ils vont faire l’inverse de ce que le bon sens aurait dicté : ils vont en effet suspendre les essais cliniques menés avec l’hydroxychloroquine ! La dernière chance de savoir. Tout cela pour ré-autoriser ces essais quelques jours plus tard, quand la débandade du Lancet devient une évidence.
Ce pouvoir d’ubuïsation que possède le druide avait déjà été à l’œuvre un peu plus tôt : prenant acte, bien tard, de la toxicité cardiaque de l’hydroxychloroquine, les autorités avaient choisi de réserver son utilisation aux malades ayant évolué vers des formes les plus graves, c’est-à-dire précisément ceux chez lesquels le médicament a bien peu de chances, en réalité aucune, de marcher !
La scène était vide
Bien sûr, on peut rappeler les contradictions du druide, ses multiples versions des faits, ses prédictions contredites comme sa minoration incroyable de la menace, le fait que l’épidémie disparaîtrait en mai 2020, qu’il était improbable que l’on ait à subir une deuxième vague, et bien d’autres encore.
Peu importe, l’essentiel demeure : Didier Raoult a vendu de l’espoir, du rêve. Il a parfois remis le débat dans le bon sens. Est-ce à lui qu’il faut reprocher d’avoir crevé l’écran ? Un ami me posait la question : « De quoi Didier Raoult est-il le symbole ? » La réponse est claire : de la faiblesse des autorités sanitaires françaises et de notre absence de culture de santé publique ! Raoult a occupé la scène parce qu’elle était vide.
Bernard Bégaud