Le professeur André Grimaldi a écrit cette lettre sur sa liste mail, peu après la démission de Martin Hirsch de la direction des hôpitaux de Paris, le jeudi 16 juin. Nous la publions avec son accord.
« Chers toutes et tous
Martin Hirsch, en démissionnant deux jours avant le second tour des législatives a donné une signification politique à son départ programmé.
Il nous dit clairement qu’il ne croit pas à la promesse du Président qui s’était engagé à ce que « le jour d’après ne soit pas le retour au jour d’avant ». En un mot, il ne croit au grand projet du Conseil national de la rénovation (CNR). Mais il ne nous dit pas pourquoi. II nous appelle à nous remettre en cause mais ne semble pas s’impliquer personnellement dans cet examen de conscience autocritique.
L’ancien successeur de l’abbé Pierre donne l’impression de faire son mea culpa sur la poitrine des autres. Il va jusqu’à se féliciter des projets du nouvel Hôtel-Dieu avec sa galerie marchande, ses cafés et ses restaurants et du nouvel Hôpital-Nord avec ses 300 lits manquants. Déclarerait-il aujourd’hui, comme il le fit dans le journal Le Monde daté du 19 Mai 2019, à propos du nouvel Hôtel-Dieu « Ce sera notre premier hôpital du XXIe siècle : ouvert sur la ville, faisant se rencontrer soins et entrepreneuriat, mélangeant les activités. Je suis très heureux d’avoir résisté à tous ceux qui voulaient purement et simplement vendre l’Hôtel-Dieu comme à ceux qui voulaient le refaire à l’identique, alors qu’il ne correspond plus à l’offre de soins nécessaires à Paris » ?
Comme lui, nous sommes nombreux à avoir un rapport passionnel à l’AP-HP et plus encore à notre métier et à la communauté soignante de L’AP-HP. Comme lui, nous pensons qu’il faut une réforme des hôpitaux de l’ampleur de celle de 1958. Mais la comparaison ne vaut que si on garde l’esprit de 58, c’est-à-dire celui du service public au service du public en remettant en cause, « les rigidités, les pesanteurs, les rivalités et les égoïsmes, les forces d’inertie ». Mais en gardant, en grande partie grâce au statut si décrié, la liberté de critique qui permet aux soignants d’être au service des patients avant d’être au service de la T2A (le « dénigrement » ne doit pas devenir le monopole du directeur général comme c’est le cas dans les cliniques commerciales et dans les ESPIC, établissements de santé privé d’intérêt collectif).
Mais un mot manque singulièrement dans la lettre de départ de Martin Hirsch, c’est celui d’équipe, alors que la loi HPST (Hôpital, patients, santé et territoires) a voulu supprimer les services en les dissolvant dans des pôles, a permis de fragmenter les équipes entre les médecins et les paramédicaux, a placé les cadres de santé au service de la gestion administrative en les coupant du soin. La priorité des priorités est de reconstituer des équipes soignantes stables.
Oui, la triple mission individuelle est dépassée, oui, il faut revoir la division entre PU-PH et PH, oui, il faut développer les infirmières cliniciennes dites « de PA (pratique avancée) » à partir de la validation des acquis d’expérience et de formation, oui, il faut insérer l’hôpital dans un projet de santé territorial, oui, il faut que l’hôpital aide à construire un service public de la médecine de proximité participant à la permanence des soins, oui, il faut développer la discipline transversale médicale et non médicale de santé publique…
Mais tout cela n’est possible qu’en remettant en cause la T2A (tarification à l’activité), le paiement à l’acte, et le doublon Sécu/assurances privées complémentaires avec ses doublons de milliards d’euros de frais de gestion. Tout cela n’est possible qu’en développant à tous les niveaux une cogestion entre administratifs et professionnels du soin avec la participation des usagers.
Il n’est pas vrai que nous soyons toutes et tous d’accord sur les réformes. Encore faut-il que, comme en 1958, les divergences puissent s’exprimer. Les élections ne l’ont pas permis. Depuis vingt ans, les réformes néolibérales de l’hôpital se sont faites dans le dos des citoyens, sans vrai débat impliquant les professionnels et les usagers. La com’, la nov’langue et les techniques de manipulation ont remplacé la politique. La démocratie est confisquée. Malgré toutes nos critiques, nous sommes reconnaissants à Martin Hirsch d’avoir tenté d’ouvrir le débat.
Enfin, si nous devons faire notre autocritique, il est vrai que ma génération a détruit le mandarinat mais a été incapable de le remplacer par une communauté médicale démocratique fonctionnant selon des règles transparentes et ayant autorité sur les chefs de service pour limiter les abus de pouvoir de quelques egos nostalgiques du passé mandarinal. Coresponsable avec un cadre de santé de l’équipe de soins, la mission « altruiste » du chef de service devrait être limitée dans le temps (à deux mandats de cinq ans ?).
Georges Tchobroutsky, ancien patron de diabétologie de l’Hôtel-Dieu, disait « Le seul intérêt d’être chef de service, c’est de ne pas en avoir ».
La première tâche du (ou de la) successeur de Martin Hirsch devrait être d’ouvrir une période « des 100 fleurs », que la parole se libère et que le débat commence, à la condition que les décisions attendues suivent. On pourrait par exemple rendre les pôles et autres DMU (départements médico-universitaire) facultatifs... »
André Grimaldi