« On ne meurt pas de vieillesse »

Véronique Fournier, qui vient d’écrire 7 vieilles dames et la mort, et Sandrine Rui, sociologue, membre de l’équipe d’appui méthodologique de la Convention citoyenne sur la fin de vie, sont venues discuter du projet de loi sur l’aide active à mourir qui vient de commencer à être débattu au Parlement.  Où en est-on ? Répond-il à toutes les questions ? A-t-il été le fruit d’un processus démocratique ? Voilà quelques éléments de réponse.     

« Ce livre, mon livre autour du récit de 7 femmes, j’avais envie de mettre ce témoignage sur la table du débat. Et parler ainsi de  la mort au bout de  la grande vieillesse. Cela me paraît, en effet, l’un des problèmes majeurs qui remonte de mon expérience et du terrain que je pratique. En plus, si on l’adopte bientôt un projet de loi autour de  la demande des patients et de la fin de vie, il me paraissait important que cette question soit débattue. Pourquoi ? Nous avions, en effet, le sentiment que les morts provoqués autour de situation clinique liée à certaines maladies évolutives, comme la maladie de Charcot, où l’on connaît le déroulé et les étapes, nous pensions donc que pour ces fins de vie-là , la question était ou serait en grande partie réglée. Ce n’est pas certes encore tout à fait le cas, mais en tout cas l’idée que l’on puisse dire à un moment dire stop – la personne sachant ce que la maladie lui réserve, qu’elle va en mourir, et qu’elle n’a pas envie de vivre ces moments-là, et qu’elle veut donc être aidée à partir avant –, cette demande-là nous semblait entendue, en tout cas à peu près. En revanche, la mort à l’issue de la grande vieillesse restait dans le silence. On n’en parlait pas. J’ai voulu raconter cela.  

La vieillesse ne fait pas mourir

Dans mon livre, ce sont des femmes qui racontent, des femmes car cela touche surtout des femmes, parce qu’elles vivent plus longtemps, et aussi probablement parce qu’elles sont plus conscientes de cette difficulté de la mort au bout de la grande vieillesse. Ces femmes en parlent plus facilement, elles évoquent souvent une demande d’aide. Le sujet principal était donc de comprendre pourquoi la mort au bout de la grande vieillesse se passait et se passe aussi difficilement. De fait, les raisons me semblent multiples. D’abord, ce sont des personnes qui à ce stade de leur vie sont devenues hétéronomes ; on ne croit plus trop à ce qu’elles disent l’âge avançant. Comme leurs paroles fluctuent, on se dit qu’il faut les protéger d’elles-mêmes, et cela malgré leurs paroles et leurs souhaits. On se dit qu’il ne faut pas accorder trop d’importance à ce qu’elles disent. Ensuite, très souvent au bout de la très grande vieillesse, la mort ne vient pas facilement. On ne meurt pas si facilement car on ne meurt pas de vieillesse. La vieillesse ne fait pas mourir. Ce sont les petites complications, comme la fracture du col de fémur, qui vont provoquer la mort, ou des surinfections urinaires, etc. Or, on sait médicalement traiter ces petites complications, et au final, pour mourir au bout du bout, il faut que d’une certaine façon les médecins acceptent de les laisser mourir. Mais ils ne le font pas car ils se disent : « Nous avons un traitement assez simple pour les faire vivre, pourquoi s’en priver ? ». C’est un paradoxe : si les médecins sont réticents à entreprendre des traitements lourds sur des personnes très âgées, il leur est difficile de renoncer aux petits traitements. Le médecin se retrouve dans un mauvais rôle. Quand il refuse l’acharnement thérapeutique, il le fait volontiers car il a l’impression de protéger le patient d’une souffrance supplémentaire, mais devant des traitements faciles et légers, il n’a pas ce sentiment. Alors il le fait, l’entreprend. La troisième raison est que lorsque l’on meurt dans la grande vieillesse, la personne est dans un état un peu suspendu, entre la vie et la mort, un état très dégradé physiquement. On a beau se centrer sur ce qu’on était la veille ou le lendemain, il est très difficile de voir la mort au travail. On ne voit pas, on ne prédit rien, on meurt sur des temps longs, si bien que les gens qui s’en occupent ne perçoivent pas ces glissements légers, ils  ne voient pas que les personnes sont en train de mourir. Au final, personne ne se préoccupe du moment où la mort va arriver, ou même si elle est souhaitable. On n’arrive pas même à le penser, encore moins en collectivité, d’autant que les soignants ne sont pas dans la culture ni dans la tradition de se poser la question ; ils ont même été formés dans la tradition de maintenir la vie à tout prix. Pourtant, beaucoup de femmes de cette génération, nées à partir des années 1930, le disent : elles  ne veulent pas vivre au-delà d’un certain moment, elles disent qu’elles voudraient que la médecine fasse ce qu’il faut, elles disent que le jour où la vie leur semblera insupportable, elles voudraient que cela s’arrête, que cela se termine. Elles sont, en plus, nombreuses à avoir accompagné des hommes à mourir, elles sont dans une philosophie où elles ont réussi à conduire leur vie, manifestant souvent une sacré personnalité. Je remarque aussi qu’elles ont beau ne pas être toutes du même milieu social, elles réagissent toutes dans une forte liberté. Et pourtant, cette demande, on ne l’entend pas. On répond souvent en mettant en avant l’argument de la charge pour autrui, qu’en d’autres termes des vieux demandent à mourir car ils ne veulent pas être une charge pour leurs enfants. Je ne ne vois pas ce que cela a d’immoral ; si quelqu’un se sent diminué, à l’écart, si la personne ne se sent plus du tout conforme à son identité sociale, je comprends que cela puisse être une argument pour ne plus vouloir vivre. Être une charge peut être une vraie souffrance. Voilà ce que j’ai vu. Et je le redis, cette question de la mort à l’issue de la grande vieillesse n’émerge pas. Et d’ailleurs, au CNaV (Collectif national autoproclamé de la vieillesse) que l’on a fondé il y a deux ans, on a parfois entre nous une position sur la vieillesse qui peut être ambivalente. On veut  protéger la grande vieillesse, on se sent parfois coupable de ne pas les avoir protégé assez, et on a le sentiment que si l’on ouvre la question de l’aide à mourir, on serait encore plus coupable. Or ce n’est pas le cas, mais on n’en parle pas. » (Véronique Fournier, médecin)

Il y a une ambivalence vis-à-vis de la grande vieillesse

« Lors de la Convention citoyenne, le lien entre fin de vie et vieillesse a émergé au départ, cette association paraissant évidente à beaucoup. Mais certains membres de la Convention  ont rappelé qu’il n’y avait pas que la problématique de la grande vieillesse. Nous étions, donc, plutôt à front renversé. Mais il est exact qu’ensuite, les débats se sont peu à peu déplacés, se fixant sur certaines pathologies, comme celle de Charcot ou la maladie d’Alzheimer.  
Au final, cette problématique n’apparaît pas dans le projet de loi. C’est vrai qu’est retenu un critère renvoyant aux maladies incurables, mais le projet de loi est en débat, peut-être le texte va-t-il évoluer, y compris dans son refus d’utiliser les mots pour le dire, au point que l’on ne sait plus trop quoi il s’agit. En tout cas, je suis d’accord, il y a une ambivalence vis-à-vis de la grande vieillesse.  
À aucun moment, dans la Convention, il n’a été empêché de parler de la vieillesse, mais ce sont des débats pas faciles à tenir. L’argumentation autour de la volonté de rester celle ou celui que l’on a été, de rester autonome, a ainsi du mal à être questionnée dans le débat public. Lors de la Convention, nous avons évoqué la mort par suicide assisté de Jean-Luc Godard. Cet épisode a marqué les esprits, mais l’argumentation pour le défendre ne s’est pas imposé, il était minoritaire. 
» (Sandrine Rui, sociologue

On a mis la vieillesse dans le tiroir médical

« Juste une précision, nous ne demandons pas la mort à la carte, « si je veux quand je veux, y compris à 50 ans ». On dit qu’à un moment donné, la qualité de vie au quotidien est devenue insupportable, que par exemple la personne qui ne peut plus lire alors que c‘était fondamental pour elle, ou qu’elle ne peut plus entendre la musique, ou s’entretenir, ou sortir de chez elle, ou simplement communiquer avec les autres, alors la personne, ayant une qualité de vie dégradée de façon objective, peut et veut dire stop. Sa demande ne se résume pas à la question de son autonomie. Si elle demande l’arrêt, c’est pour de bonnes raisons. En plus, je ne vois pas pourquoi l’autonomie dans le cas de la maladie de Charcot doit être respectée, mais pas dans le cas de Jean-Luc Godard. En fait, je pense que l’on est dans une société où le biomédical continue d’être dominant, et parfois il l’est de manière insupportable. Ce projet de loi reste imprégné de notre histoire, de nos liens avec le pouvoir médical. On a mis la vieillesse dans le tiroir médical, alors que ce n’est pas un sujet médical. Mais voilà, aujourd’hui, nous sommes peu nombreux à en être convaincus. » (Véronique Fournier, médecin)

Il faudrait démédicaliser la décision, mais médicaliser l’accompagnement. Or, j’ai le sentiment que l’on est parti plutôt pour l’inverse.  

Véronique Fournier

Une ambivalence

« Qui détient cette décision de faire mourir ? Elle est détenue en grand part par le milieu médical. Dans la Convention, on a vécu là encore une ambivalence. D’un coté, il s’est vite manifesté une volonté de desserrer cette emprise du monde médical, et en même temps persistait une revendication de mêler les médecins à ces moments-là.  Pour les conventionnels, c’était une évidence, il fallait la présence d’un personnel médical à la fin.  L’idée même qu’il ne soit pas là était vécue par certains comme effrayant. Et maintenant, dans le débat au Parlement, on le sent, subsiste cette tension, avec parfois le souhait de démédicaliser le texte. On le note dans le choix des mots utilisés comme autour du diagnostic vital. Il me semble qu’il y a eu un pas de fait en dehors du monde médical, avec le recours à un tiers par exemple. » (Sandrine Rui, sociologue)

Mais comment définir la très grande vieillesse ?   

Jean-François Corty, médecin

 « Ce sont ces gens qui sont en Ephad, qui en ont ras-le-bol, vivant dans une vie qu’ils estiment désormais misérable. Certains parlent de la limite des 90 ans. Souvent se conjugue un argument supplémentaire : ils disent « J’ai fait le tour, je n’en veux plus ». Cet argument n’est pas entendu. Pour se dédouaner, d’autres mettent en avant les troubles cognitifs. Nous, notre expérience est que même à un stade avancé de troubles cognitifs, la personne est en état de dire « J’en ai marre » ou pas. »   (Véronique Fournier, médecin)

« Sur la question du consentement, il y a eu beaucoup de débats autour de la nécessité ou pas de réitérer l’expression de la volonté. Dans la Convention, la majorité est restée très attachée à la collégialité dans la prise de décision. » (Sandrine Rui, sociologue)

Au médecin d’exercer le droit de vie ou de mort

« « Je ne veux pas peser sur la vie de mes enfants », c’est une parole que l’on entend beaucoup, et qui est souvent rejetée. N’est-ce pas parce que l’éthique est toujours une éthique biomédicale, et pas une éthique sociale ? Malgré l’épidémie du sida, nous sommes restés dans cette logique : c’est au médecin d’exercer le droit de vie ou de mort. » (Philippe Artières, historien)

« Mon expérience a été celle de la mort des parents, et cela a forgé ma position ; je ne veux pas que mes enfants vivent cela avec moi. Après ? En vous écoutant, je me rends compte que le médecin n’est pas obligatoirement légitime, c’est une décision très personnelle. » (Geneviève Crespo, formatrice)

« Il faut peut-être que le médecin accepte de changer de position, de sortir du curatif et qu’à la fin, il puisse considérer que la fin de vie est une option thérapeutique. » (François Meyer, médecin

Le problème est qu’il n’y a pas de patients experts de la mort… Il n’y a pas de savoir profane sur la mort.   

Véronique Fournier

Une belle réussite

« Et maintenant, me demandez-vous ? La Convention citoyenne, c’est donc fini. Elle s’est terminée le 27 avril par une rencontre en plénière avec le Président puis la ministre et la présidente de la Commission spéciale qui ont expliqué le contenu du projet de loi et ce qui allait se passer. Cette convention citoyenne a été une belle réussite, y compris parce qu’il y a bien un projet de loi. C’est important : cela montre que cette Convention n’a pas été inutile, et c’est un message fort dans l’exercice de la démocratie. 
Enfin, pour les membres qui le souhaitaient, les conventionnels se sont constitués en association qui est depuis interrogée régulièrement. Elle est en somme devenue un acteur collectif. Là aussi c‘est important. (Sandrine Rui, sociologue)

ViF