« Nous sommes des soignants. Nous sommes là pour prodiguer des soins »

Extraits d’un entretien, réalisé par Libération, avec le Dr Salha, chef du centre médical Al-Awda de Jabalia, ville ravagée par la guerre dans le nord de la bande de Gaza.

« Des bombardements ont lieu chaque jour. Mercredi encore, nous avons reçu 56 blessés, dont sept étaient des enfants. Neuf autres étaient morts. Une fillette, âgée de seulement 4 mois, a été amputée des deux jambes. Faute d’unité de soins intensifs ici, nous avons dû la transférer vers un autre hôpital. […] Nous n’avons plus de nourriture, plus d’eau, plus de carburant. Même le pain, la denrée la plus importante, est devenu introuvable ou hors de prix. Il me faut débourser près de 40 dollars pour acheter de la farine afin de pouvoir nourrir ma famille de huit personnes. Les étals de marché sont vides : on ne trouve plus de fruits, de lait ou d’œufs. Seulement quelques légumes très chers, que nous cuisinons au feu de bois comme nous n’avons plus de gaz.

Au sol, les soldats israéliens ne sont qu’à un kilomètre d’ici. Depuis les airs, les frappes sont constantes. Parfois, pour éliminer un seul membre du Hamas, ils tuent 40 personnes. Et il arrive que la personne ciblée survive… et ce sont les civils qui meurent : des femmes, des enfants… Tous les Palestiniens ne sont pas membres du Hamas. Nous sommes des êtres humains comme les autres et nous voulons simplement vivre en paix. Je ne parle pas seulement en mon nom : 90% des Palestiniens de Gaza pensent la même chose. Même dans les familles où un membre appartient au Hamas, beaucoup lui disent : « Va-t’en, nous ne voulons pas que tu restes ici. »

L’hôpital est un lieu public. Nous ne savons pas qui appartient au Hamas ou non – ce n’est pas notre rôle. Mais l’armée israélienne affirme qu’elle frappera les hôpitaux s’il s’y trouve des membres du Hamas. Le problème, c’est que nous n’en savons rien. Nous ne sommes pas des agents de sécurité, nous sommes des soignants. Nous sommes là pour prodiguer des soins. […] Moi, je vis à l’hôpital. Je n’ai pas le luxe de rentrer chez moi. Je dors sur place, avec mes équipes. Il m’arrive de passer les voir, de partager un repas ou de dormir une nuit avec eux...

Il faut que cela cesse. Ce ne sont pas des membres du Hamas qu’ils tuent, ce sont des gens ordinaires. Pour une personne du Hamas ciblée, cent innocents meurent. Ils veulent nous pousser dehors. Moi, ce n’est pas ce que je souhaite. Je ne suis pas prêt à quitter ma terre. J’ai 42 ans. Mes enfants ont besoin d’étudier, de manger. Cela concerne leur vie, leur avenir. Mais, à Gaza, il n’y a plus d’avenir. »