Mais pourquoi diable cela fonctionne-t-il aussi mal ? Pourquoi autant de morts liées à un mauvais usage des médicaments ? Pourquoi des prix ahurissants pour des bénéfices incertains ? Pourquoi cette fuite en avant sans repère ni objectif ?
Le 24 janvier dernier, VIF organisait un débat sur le thème « Cherche désespérément politique du médicament », avec Bernard Bégaud, pharmacologue et François Meyer, ancien responsable de l’évaluation des produits de santé à la Haute Autorité de santé. Marisol Touraine, ancienne ministre de la Santé, devait intervenir mais une méchante grippe l’a retenue au lit.
Éléments de réponses à l’aide de quelques extraits…
« Les chiffres ? En 2022, la France est le deuxième pays en Europe pour le taux de dépenses de santé au regard du PIB ; 11,9%. Le poste Médicament s’élève à 32,8 milliards d’euros, et c’est le poste qui progresse le plus depuis trois ans. » (François Meyer)
« Plus de 32 milliards d’euros…C’est fou ce que l’on pourrait faire avec cette somme… Pour les industriels du médicament, tout paraît aller bien. Pourquoi pas ? Mais on n’en débat pas.
Or ce qui s’est passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale est un bouleversement radical, avec la mise sur le marché de grandes et efficaces thérapeutiques, ce qui a totalement changé la santé individuelle et la santé publique. La position que nous avons n’est pas celle de s’opposer aux médicaments. Imaginons, en effet, ce que serait le monde s’il y avait une pénurie généralisée de médicaments. On verrait l’espérance de vie s’effondrer, la mortalité infantile exploser, on ne pourrait plus faire d’interventions chirurgicales, ni faire de prévention, etc.
En plus, ces progrès ne s’arrêtent pas là. Depuis dix ans, on entrevoit des espoirs encore plus grands avec les biotechnologies : devant des maladies que l’on pensait incurables, on entrevoit qu’elles pourraient être guéries. On l’a vu avec le sida, plus récemment avec l’hépatite C. Des traitements magnifiques. Mais il y a deux points négatifs : celui des coûts, celui des choix.
Les coûts, c’est-à-dire les prix, varient profondément. La grande majorité des médicaments, qui sont consommés depuis longtemps et qui sont des médicaments majeurs, ne coûtent rien : 2 à 3 euros la boîte. Le lithium ? C’est 3 euros la boite de 100, alors que l’impact clinique est énorme.
À l’inverse des médicaments récents, issus des biotechnologies, vont voir leur prix de l’ordre de 50 000 euros. Les raisons de ce bouleversement ? Une entourloupe incroyable. On a fait entrer comme paradigme que les médicaments nouveaux devraient voir leur prix calculé, non pas en fonction de leur coût de production, mais sur les économies engendrées du fait de l’introduction du médicament. C’est un système pervers, c’est un peu comme si un plombier qui réparait une fuite facturait 40 000 euros en arguant du fait que s’il n’était pas venu les dégâts auraient été encore plus chers… Et cela aboutit au fait que l’Assurance maladie est forcément perdante, car pour des économies incertaines on accorde des prix incroyablement élevés qui vont dans les poches des actionnaires….
Et donc au final, cela pèse massivement sur le système de santé : 5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires avec les traitements issus de la biotechnologie en accès précoce. C’est une espèce de tsunami pour les comptes sociaux. Or, les politiques n’ont pris aucune mesure, juste des rustines comme les franchises ou certains déremboursements. Tout cela n’aura qu’un temps, et c’est très injuste. Voire très contreproductif.
Exemple : lors de la première campagne de vaccination contre le papillomavirus, il y a eu un reste à charge autour de 100 euros. On pouvait deviner la suite : les jeunes filles des milieux aisés ont été vaccinées, les autres non. Alors que ces dernières étaient déjà moins bien suivies par les gynécologues que les autres. Résultat inverse à celui espéré.
Au final, on peut constater que la politique française en matière de médicament se résume à un encadrement réglementaire de l’offre pharmaceutique, bref on suit l’offre. Alors qu’il faudrait partir des besoins de la population, en définissant des priorités comme cela a été fait, d’ailleurs, par Jean-François Mattei. C’est une erreur grave, car les médicaments sont un outil majeur de santé publique. Le médicament est un objet typiquement politique. Ce qui est dépensé à tort ici ne sera pas disponible pour une cause juste là. Un milliard d’euros dépenses à tort, cela correspond à 17 000 postes d‘infirmières pendant un an.
Après le coût, il y a la question du choix. Qui devrait bénéficier en premier lieu des innovations ? les personnes âgées ? Ou les malades ? Ou les jeunes car ils ont l’espérance de vie la plus longue. Ces questions sont difficiles, mais on refuse de se les poser. Or, l’heure est grave : comment restaurer un pilotage politique pour éviter une explosion du système ? Sur quelles bases faire les choix ? » (Bernard Bégaud)
« Une politique du médicament ? Il n’y en pas, et d’abord il n’y a pas de débat sur cette question comme sur la santé en général. Pourquoi cela ne prend pas ? La première raison est que jusqu’à un certain temps, il y avait un système de santé qui donnait suffisamment satisfaction, car en Grande-Bretagne il y avait un débat, aux États-Unis, ce débat avait lieu pour ceux qui n’avaient pas de couverture de santé, avec l’Obamacare.
En France, depuis 1945, le débat n’existe pas. Il y a eu des avancées, mais elles n’ont pas été portées par le milieu médical. Pour la plupart, cela a correspondu à des moments historiques, le lendemain de la guerre par exemple, ou en raison de personnalités comme le professeur Debré, voire en raison d’un événement majeur comme le sida. Avec le Covid, nous avons eu une épidémie, mais peut-être pas assez de morts… Là, on a une continuité de la politique de santé. Elle continue, mais c’est dans le vide. Et maintenant, on traverse une crise globale de la société et la santé est noyée dedans. Il y a crise partout.
Si on avait une urgence, ce serait de préparer le programme du candidat futur. Car il n’en a pas. Ils n’en ont aucun. Une impréparation dramatique. Mais nous, que pesons-nous ? » (André Grimaldi)
« Non, je ne suis pas d’accord car il y a des débats mais ils sont toujours en réaction. Des exemples ? Il y a eu le débat sur le 100% remboursé, puis avec le Covid, un débat sur l’hôpital et aussi sur le tiers-payant… Mais j’en conviens, il n’y a pas de vrai débat sur le fond. Et à ma connaissance, c’est parce qu’aucun président n’en a fait sa priorité, la plupart connaissant très mal la santé. Et ils ne s’y intéressent que lors des crises. Or en santé, il faut dix ans pour qu’une idée s’impose. » (Claude Pigement)
On parle d’industrie pharmaceutique, mais aujourd’hui on devrait parler de finances pharmaceutiques.
Bernard Bégaud
« Il faut que la population soit au courant, aujourd’hui les procédés d’évaluation se dégradent. Avec entre autres la multiplication de ce que l’on appelle les accès précoces. Or cet accès précoce – c’est-à-dire rapide, avant que toutes les procédures d’évaluation aient pu émettre un avis clair – renvoie à une promesse. Au final, 70% se révèlent sans intérêt, ce qui veut dire que les patients qui en ont reçu ont subi une perte de chance. » (Olivier Saint-Jean)
« Je ne suis pas d’accord, il y a une politique de santé, mais c’est une politique essentiellement économique, en tout cas ce n’est pas une politique en fonction d’indicateur de santé publique. Alors c’est exact, on parle peu ou pas de l’accès aux médicaments. Quand on regarde la vaccination, il y a des constats essentiels qui pourraient définir des politiques de vaccination, comme le fait que l’on n’a pas le même taux de vaccination selon le lieu où l’on habite, avec des différences majeures. Or, les seules initiatives sont pour réduire les dépenses. La politique du bon usage des médicaments est uniquement regardée en termes d’économie. Le prix ? Il est déconnecté des faits, de la recherche. On discute sur les vieux médicaments, tous les ans. Les grands labos regardent les start-up, les achètent. Ils disent « c’est 7 milliards car on a payé 7 milliards pour l’achat de la start-up ». C’est totalement décorrélé de l’intérêt clinique. » (Mahmoud Zureik)
« En France, nous sommes le pays en Europe où les médicaments sont les plus mal utilisés. Des gens qui pourraient être traités et ne le sont pas, et pour d’autres c’est l’inverse. Nous conservons le record en Europe avec la Grèce pour le mauvais usage des antibiotiques. Les antiulcéreux ? 15 millions de personnes, pourquoi autant ? Au final, les effets indésirables vont provoquer 8,5% des admissions dans les hôpitaux, mais aussi 10 000 morts. C’est gigantesque, c’est une catastrophe, bien plus que les accidents de la route…On pourrait faire 10 milliards d’économies pour la Sécu sur ce sujet.
Les pouvoirs publics devraient faire un pacte avec l’industrie : on garde les 30 milliards de dépenses pour les médicaments, mais on fait en sorte ensemble qu’ils soient bien utilisés. Ce serait une grande cause nationale. Mais aujourd’hui que fait-on ? On accuse les consommateurs. » (Bernard Bégaud)
Il est dur de résister aux patients, et à leur demande implicite de médicaments Et c’est d’autant plus compliqué lors d’une téléconsultation.
Une médecin généraliste
« Avec la base de données de l’Assurance maladie, nous avons un système unique au monde, mais il nous manque des moyens pour l’utiliser au mieux. Pas beaucoup, 5 ou 10 millions d’euros, une goutte d’eau par rapport aux dépenses du médicament. » (Mahmoud Zureik)
« Nous avons un système de prix totalement incohérent. Les gains de productivité se transforment en rente financière pour les actionnaires. S’il y a un sujet qui devrait s’imposer avec les élections européennes, c’est bien la question du prix des médicaments. Personne n’en parle. Jamais il n’y a eu un écart aussi grand entre les médicaments anciens qui, pour la plupart, apportent des bienfaits importants, et les innovants pour lesquels il manque souvent de recul. La politique des médicaments devait être européenne, mais non, ce n’est pas un sujet. » (Étienne Caniard)