Un mode particulier d’hospitalisation des vieillards en Hollande : le hofje.
Dans l’ouvrage qu’il consacre en 1898 à La Charité privée à l’étranger, Albert Montheuil livre dans le chapitre 11 intitulé « Hospitalisation des vieillards » la description d’un lieu de vie aux Pays-Bas, qui frappe par sa modernité notamment dans son souci de respect de l’autonomie des personnes.
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« Un mode d’hospitalisation curieuse et tout à fait particulière à la Hollande : le hofje, qui appelle quelques observations et renseignements. Le but de cette institution charitable est toujours et sans aucune réserve de procurer des demeures gratuites. Généralement ce sont des vieillards qu’on loge à l’hofje. Des exceptions se présentent, qui confirment la règle.Les hofjes sont des appartements séparés mis à la disposition des pauvres. Jamais plus d’une famille n’habite le même appartement. C’est le caractère spécial des hofjes, très différent, comme on le voit, des hospices et asiles où des individus qui s’ignorent, qui n’ont pas de liens, vivent en commun. Pour les hofjes, c’est tout le contraire. Chacun est chez soi. On n’est pas obligé d’entrer en relations avec ses co-assistés ; l’habitant de l’hofje jouit de tourbe ou charbon pendant l’hiver seulement. Les personnes ainsi assistées doivent par conséquent pourvoir à leurs propres besoins. Comme ce sont, dans la majorité des cas, des vieillards, le travail auquel ils se livrent à cet effet se borne à rendre de petits services dominicaux dans les familles charitables. Les personnes qui profitent de cette institution ne sont pas tout à fait des pauvres. On les choisit parmi les anciens serviteurs, les vieilles domestiques, parmi les ouvriers ou employés qui, après une vie de labeur, sont jugés dignes d’une retraite calme et sûre pour le temps qui leur reste à vivre – mais une retraite indépendante. Il en coûte toujours d’aliéner sa liberté, de se soumettre à la discipline, quelle qu’elle soit, d’un établissement hospitalier. L’hofje, par contre, est très recherché, très désiré, précisément à cause de la liberté qu’on y conserve. L’habitant de l’hofje fait son ménage, ne change pas sa manière de vivre. En Hollande, où le sentiment de la liberté individuelle est extrêmement vivace, l’institution des hofjes a pris une grande extension. Il n’en pouvait être autrement. Les pauvres préfèrent de beaucoup le hofje, où ils restent libres, à l’asile, à l’hospice, où pourtant ils sont logés, nourris, vêtus, sans avoir à se soucier du lendemain. Les hofjes ne sont pas soumis à une réglementation uniforme. Ils ont cependant quelque chose de commun : leur origine. Tous sont érigés et entretenus par des personnes charitables qui, soit de leur vivant, soit par testament, ont fourni le capital nécessaire pour construire et entretenir éternellement un hofje. La plupart de ceux-ci sont très vieux. À Amsterdam, il en existe qui datent de 1683, 1695, 1648, 1670, 1675, 1650…Ces hofjes renferment 30, 40, quelquefois même plus de 100 logements. La maison contient en moyenne deux logements ; c’est la réunion de ces maisons qui constitue le hofje. Pour être admis, on doit habiter la ville, avoir 50 ans au moins, mener une vie sans reproche, ne pas avoir à sa charge des enfants, justifier d’un revenu minimum de 2 ou 3 florins par semaine, soit par le travail, soit par la charité d’autrui. Un richissime négociant d’Amsterdam a fondé en cette ville, en 1895, un hofje qui groupe sept maisons abritant 56 familles. Il faut avoir habité la ville pendant un certain nombre d’années pour y être admis. Il n’y a pas que des vieillards dans cet hofje. De jeunes veuves ayant à leur charge des enfants en bas âge, des ménages dont le mari est incapable de faire un travail utile par suite d’infirmités y reçoivent asile. Toutefois les vieillards ont la préférence. Il est superflu de dire que tous ces hofjes sont occupés, et que le nombre des demandes d’admission est considérable. »
Philippe Artières
La Charité privée à l’étranger, Éd. L.-H. May (Paris)