Mais pourquoi diable rien ne bouge sur l’installation des médecins !

C’est la salle d’attente ?

« Dis, docteur, où t’installeras tu ? ». C’est sous ce titre qu’en 2007, avec Claude Évin, alors président de la Fédération hospitalière de France, et Christian Saout, alors président du Collectif interassociatif sur la santé, nous avions publié dans le journal Le Monde un appel à réguler la liberté d’installation des médecins pour empêcher l’apparition des « déserts médicaux ».

Trois présidents et douze gouvernements plus tard, aucune régulation n’est engagée. Et le désert médical est partout. Les Françaises et Français, des villes comme des champs, cherchent un improbable GPS qui les mènerait à une oasis médicale.

Certes, le sujet est difficile. Une grande part des « généralistes » font autre chose que de la médecine générale ; le médecin dit « traitant » est convié à une pratique de production d’actes pour se rémunérer ; la médecine dite « de ville » se veut libérale mais est socialement financée par l’Assurance maladie. Quant à la lumière de l’hôpital, après avoir clignoté, elle s’éteint trop souvent.

Mais pendant toutes ces années de refus d’obstacle par les décideurs, la situation a peut-être atteint aujourd’hui un point de non-retour. Les ministres et les politiques de santé se sont embourbés dans des conventions clientélistes entre l’Assurance maladie et les professionnels de santé. La suppression du numerus clausus s’est accompagnée de choix démographiques timorés. Dans l’urgence, on a multiplié des acronymes d’offre de soins et on a abandonné la permanence des soins. Quant aux études en santé, si sélectives, elles sont maintenant, en première année, ouvertes à l’appétit des « boîtes privées ». Ces « prépas », en échange de plusieurs milliers d’euros, offrent des opportunités de réussite accrues qui, dès le départ, organisent des réussites sociologiquement inégalitaires. Cerise sur le gâteau, la médecine virtuelle propose en deux clics de fournir des réponses médicales virtuelles au kilomètre.

Dis, quand réformeras-tu tout cela ?

François Aubart

Dis, docteur, où t’installeras-tu ?

Remettre en cause la liberté d’installation des médecins est délicat mais indispensable… (Tribune publiée le 4 octobre 2007 que nous republions avec leur accord)

En toute franchise, l’inégale répartition géographique des compétences médicales ne peut perdurer car elle participe à de graves inégalités d’accès aux soins. D’ores et déjà, des millions de Français sont confrontés à des délais très longs pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, entraînant des pertes de chances inacceptables.

La répartition des médecins en France est depuis longtemps obsolète. Cette situation puise ses racines dans l’histoire des institutions hospitalières et la multiplication dans les années d’euphorie financière et de croissance du nombre de médecins, de plateaux techniques. S’y sont ajoutées après-guerre de nombreuses cliniques privées, aboutissant ainsi à un éparpillement sans équivalent en Europe. Quant à la médecine de ville, le principe toujours affirmé de la liberté d’installation a conduit à des disparités caricaturales entre les différentes parties du territoire national, dans l’indifférence collective, alors que le système de soins doit concilier, en ville comme à l’hôpital, l’intérêt individuel et l’intérêt collectif, puisque tous les financements ou presque sont socialisés.

À chaque tentative d’évoquer cette question, les internes et chefs de clinique ont rappelé leur opposition à toute contrainte, refusant d’être les seuls à être mis à contribution pour régler une problématique que leurs aînés ont refusé d’affronter. Les propos du président de la République ont eu le mérite de réinscrire cette question des conditions d’installation des praticiens dans le débat public, car celle-ci constitue un enjeu majeur pour tout le système de santé, aujourd’hui bien plus qu’hier.
Dans notre système de santé, les professionnels sont désormais invités à travailler ensemble, dans une logique de filière et de réseau. Seul un véritable maillage du territoire peut garantir la qualité des soins et mériter ainsi la confiance que nos concitoyens nous témoignent. Dans chaque « pays », dans chaque territoire, la permanence des soins, les filières de prises en charge de l’infarctus, de l’accident vasculaire cérébral, du cancer imposent de combiner des compétences et de faire coopérer les professionnels. C’est pour cette raison que les pouvoirs publics cherchent à créer des agences régionales de santé et que les filières de formation des médecins vont être revisitées.

INQUIÉTANTES PERSPECTIVES
Quant à la situation démographique de la profession médicale, dont les effectifs devraient fortement fléchir au cours des prochaines années dans toutes les disciplines, elle pourrait conduire à l’apparition de véritables déserts médicaux. Et ses effets catastrophiques sur la santé publique ne pourront pas être compensés par l’hôpital public sur lequel repose déjà l’essentiel de la permanence des soins et qui est confronté à des problèmes de recrutement.

Peut-on espérer que des dispositifs financièrement incitatifs pourront remédier à ces inquiétantes perspectives ? Leur échec jusqu’à présent semble démontrer qu’il est illusoire d’envisager une régulation sur ces seules bases, que ce soit par le biais de l’assurance-maladie ou par celui des patients, dont la solvabilité a sans doute atteint une limite. Cette liberté d’installation, sans cadre et sans remède, fait craindre une crise sanitaire majeure d’ici une décennie, suivie de la mise en cause des responsables publics qui seront restés inactifs.

Les solutions à trouver ne pourront être purement incitatives, mais elles ne pourront pas non plus être entièrement imposées. Les règles qui concernent les conditions d’installation et d’exercice des médecins et des professionnels de santé doivent en effet promouvoir les praticiens, et ne pas être considérées par ceux qui auront à les faire vivre comme des contraintes aveugles.

Il ne s’agit pas d’obliger les futurs médecins à exercer là où ils ne le souhaitent pas, mais d’éviter une concentration excessive dans quelques villes ou territoires, et d’inscrire ces évolutions dans un cadre global de réforme du système. C’est probablement au niveau des filières de formation de troisième cycle qu’il faut agir. Mais cela ne sera pas suffisant. Il faut traiter la question des conditions d’installation des médecins dans un cadre de réforme globale, prenant en compte les conditions de formation, le caractère régional ou national de l’examen classant, la rémunération.

Les jeunes médecins et internes ne doivent pas être les boucs émissaires d’une fracture du système de santé, mais les acteurs éclairés et engagés du changement. A défaut de décision rapide, c’est l’un des principes fondamentaux de notre pacte social, l’égalité de tous devant les soins, qui serait remis en question.

François Aubart est alors président de la Coordination médicale hospitalière ;
Claude Évin est alors président de la Fédération hospitalière de France ;
Christian Saout est alors président du Collectif interassociatif sur la santé.