À commencer par la Montagne magique, le grand récit de Thomas Mann, la représentation de la tuberculose et de ses traitements est largement associée aux classes dominantes. Les sanatoriums, presque cinquante ans après leur disparition, s’inscrivent dans un album médical des riches. Or il y a eu, dès la fin du XIXe siècle, un souci pour les patients pauvres. Dans un article publié en 1897, un médecin rapporte l’entreprise menée à Berne, en Suisse, pour les indigents.
Les sanatoria pour tuberculeux riches, si nombreux aujourd’hui dans toute l’Europe, ont fait l’objet de nombreuses descriptions. Les sanatoria pour tuberculeux pauvres, bien que leur nombre aille croissant à l’étranger de jour en jour, bien que les résultats obtenus aient dépassé toutes les espérances, sont beaucoup moins connus. Créé depuis l’été dernier par la ville de Berne, sur les hauteurs de Schwendi. M. le Pr Schwab, président de la Société de l’hospice bernois pour tuberculeux, a bien voulu nous donner sur cette fondation, les renseignements les plus complets. Il n’est pas un point de cette curieuse histoire, difficultés pécuniaires du début, organisation du sanatorium, recrutement des malades, règlement hospitalier, premiers résultats obtenus, qui ne puisse servir pour les fondations analogues, soit d’encouragement, soit de leçon.
L’idée qui présida à la fondation du sanatorium du Schwendi est une idée vraiment touchante. Les habitants de Berne voulaient célébrer le septième centenaire de la fondation de leur ville. Après les cérémonies officielles, ils tinrent à consacrer cette fête par une fondation philanthropique durable. C’est ainsi que fut décidé la création d’un asile pour tuberculeux. Restait à se procurer l’argent nécessaire soit environ 150 000 francs pour un sanatorium de 50 lits. Le comité y parvint par la création d’un type d’action de 100 francs fort ingénieux, ces actions ne devaient être remboursables qu’en cas de dissolution du sanatorium. Elles ne rapportaient pas d’intérêt, ce qui, comme placement, ne saurait constituer un idéal mais elle donnait au souscripteur un droit de désignation pour les malades à admettre plus tard au sanatorium. La souscription fut couverte d’enthousiasme : communes du canton, municipalités, sociétés savantes, société de secours mutuels, orphelinats, hôpitaux tinrent à honneur de s’inscrire avec 259 particuliers. Sur la liste des souscripteurs, on voit les conseils de fabrique de 31 paroisses fraterniser avec 17 loges maçonniques, 35 caisses d’épargne tinrent a s’associer à ce placement peu rémunérateur, utilisant la liberté que le gouvernement suisse leur laisse dans la disposition de leurs capitaux. […]
Depuis le 15 août 1895, ce sanatorium a reçu 110 malades, 45 y sont encore en traitement, « Soixante-cinq, nous écrit le docteur Schwab, le 9 mars 1896, en sont sortis après un séjour de deux à trois mois parmi lesquels 30 guéris ou très améliorés, 18 améliorés et 11 sans changement. » La plupart de ces derniers ont été renvoyés peu de temps après l’entrée comme trop gravement atteints et le docteur Schwab insiste justement sur la nécessité de réserver cet excellent traitement aux formes peu avancée de la maladie. […] Aussi les demandes d’entrée deviennent elles toujours plus nombreuses (ce fait est d’autant plus remarquable que la période de fonctionnement du sanatorium a coïncidé en grande partie jusqu’ici avec la période d’hiver et de mauvaise saison). […] Le recrutement des malades se fait d’une façon un peu spéciale. En effet les malades recommandés à l’administration par des corporations et des sociétés devenus copropriétaires de l’asile par suite d’une prise d’action de 100 francs. au moins, ont un droit de préférence sur les autres ; de plus chaque malade doit payer la somme très modique d’ailleurs de 1,50 franc par jour. Ce paiement est garanti et en général effectué par l’administration communale, le comité des pauvres ou de bienfaisance, la société de secours mutuelle etc. qui l’envoie.
Les malades aisés, les malades n’habitant pas le canton de Berne peuvent obtenir l’entrée dans le sanatorium à condition que des places soient vacantes et qu’il soit payé un prix de pension plus élevé que le prix ordinaire ; ce prix varie de deux à quatre francs par jour. Les malades indigents sont logés dans les chambres de huit lits, les malades aisés sont logés dans les chambres de trois, deux et un lit ; le cube d’air est toujours de 27 à 30 m³ par lit pour les uns comme pour les autres, l’alimentation est la même ; elle compte six repas par jour. La nourriture a d’ailleurs jusqu’ici donné toute satisfaction. Elle est surveillée très strictement par le comité du sanatorium. L’augmentation moyenne de poids des malades et de 2 à 4 kg après le premier mois, de 4 à 7 kg après le second, elle atteint parfois 10 kg après le troisième. Le fond du traitement et d’ailleurs la suralimentation comme beaucoup d’idées nées en France la méthode de Monsieur Debove est devenue classique … à l’étranger.
Le sanatorium, et c’est l’un des points les plus intéressants, ne reçoit pas seulement des malades atteints de tuberculose pulmonaire, il reçoit toutes les tuberculoses curables. Cette clause est extrêmement habile pour se concilier l’appui toujours particulièrement énergique des chirurgiens. La cure d’air et la suralimentation peuvent suffire dans de nombreuses tuberculoses locales. Elles constituent le complément obligé du traitement de la plupart de ses cas soumis à une intervention. Il est donc de toute justice d’admettre ces malades au même titre que les autres tuberculeux.
Le règlement affiché dans l’intérieur du sanatorium est si parfait de détails qu’il mériterait d’être reproduit en entier. Tout d’abord cette recommandation si juste avec la note patriarcale qui la termine : « Les malades ne doivent cracher ni sur le parquet des bâtiments, ni sur le sol du dehors dans leur promenade cette défense a pour but de protéger de la contagion, les malades eux-mêmes, le personnel du sanatorium, les habitants des environs et leur bétail. » Puis cette autre, qui donne bien l’idée du formidable appétit réveillé par la cure d’air : « il est formellement interdit sauf prescription médicale de manger entre les six repas réglementaires (sept heures, 10 heures, midi, quatre heures huit heures et demie). » Ces repas multipliés prennent naturellement une bonne partie de la journée des malades ; le reste du temps est occupé sans parti pris exclusif, soit par la cure d’air sur la chaise longue, soit par la promenade. La fièvre est le grand critérium de la possibilité de l’exercice. Les malades prennent un bain de propreté et sont pesés régulièrement chaque semaine. Malgré l’abondance et l’excellence de la nourriture, malgré les dépenses spéciales de chauffage et d’éclairage nécessité par la saison d’hiver, le prix par malade et par jour jusqu’ici n’a pas jusqu’ici dépassé 2 francs. C’est en effet un des grands mérites des hôpitaux extra-urbains bien administrés de devenir rapidement moins coûteux comme dépenses journalières moyennes que les hôpitaux situés dans l’intérieur des villes. Un petit fait donnera d’ailleurs l’idée du souci de tous pour eux de réduire les dépenses au minimum ; le gouvernement suisse a accordé a un nouvel établissement la franchise postale excellente mesure, longtemps réclamé par l’assistance publique de Paris qui dépense en frais de poste 38 000 francs.
Philippe Artières