Retour sur l’histoire militante et engagée d’un collectif de soignants et patients de la psychiatrie contre le tout sécuritaire voulu, à l’époque, par Nicolas Sarkozy.
Épisode 3 – Le meeting de Montreuil
Après la réunion du 12 décembre, tout commence. Les premières signatures affluent. Élie Winter, jeune psychologue, se met aux manettes de l’informatique pour préparer un site et concocter une adresse Internet pour recueillir les signatures. Cela bouillonne, cela maile dans tous les sens ! Des rôles se distribuent, spontanément, sans dispute, chacun lance ses idées pour organiser les choses. On se partage les démarches. Je me surprends à répondre, à écrire des mails entre mes consultations et mes séances. Parfois même, avec certains patients, il m’arrive de faire référence à ce qui s’est passé avec le discours de Sarkozy. Certains m’en parlent spontanément : « Vous avez entendu cela, incroyable ? Qu’est-ce que vous en pensez ? » Comme je n’ai jamais été dans une position de stricte neutralité freudienne, certaines séances basculent dans des discussions politiques… Je reprendrai ça plus tard… Je me dis parfois « il faut que je me calme ».
La surprise est là, totale
Mais c’est difficile, car certains des psys qui se mobilisent avec nous commencent « à déraper », à mon sens. Et je ne suis pas le seul à le constater : Hervé, Élie et moi réagissons de concert pour tenter d’éviter les diversions, les initiatives désordonnées. D’autres, s’appuyant sur leurs réflexes militants habituels, ne perçoivent pas encore la « machine » en marche. À moins qu’ils soient contrariés par la dynamique naissante faisant de l’ombre à leur initiative ou à leur projet politique très codé sur le mode des « fronts communs ».
Nous parvenons à faire face, à faire front. Bien que n’ayant pas beaucoup fonctionné ensemble, une sorte de noyau se met en place spontanément par le biais des réponses à de nombreux mails. Nous tenons bon pour imposer le respect de la date de la prochaine réunion fixée au 9 janvier. Roland Gori, forte personnalité, est d’accord pour différer le lancement de son initiative d’un Appel des appels.
Car déjà la surprise est là, totale : l’afflux des signatures est impressionnant, inédit. La diversité des signataires nous étonne : de toutes professions, il n’y a pas que des soignants, il y a aussi des patients ou des ex-patients, et des parents de patients. Nous avions été alertés d’ailleurs par les vives réactions de plusieurs membres de l’Unafam, cette association représentative et active de parents et amis de malades, qui ont commencé à ruer dans les brancards contre leur président, se plaignant de son soutien alors quasi inconditionnel au discours présidentiel.
Rassemblement le 7 février
Le 9 janvier, une décision s’impose : il faut poser un acte fort, une assemblée générale… et pourquoi pas, un meeting ! La date est prise : le 7 février à Paris. Où tenir cette réunion ? Pourquoi pas à Sainte-Anne, temple de la psychiatrie ? Nous contactons la direction de l’hôpital pour demander l’amphi de la CMME – Clinique des maladies mentales et de l’encéphale, un lieu plutôt emblématique du courant de la psychiatrie biologique –, un lieu aux antipodes des conceptions théoriques du courant d’une psychiatrie désaliéniste, psychanalytique, de psychothérapie institutionnelle, majoritairement partagées dans le groupe. Au bout de dix jours, la réponse de la direction de Sainte‑Anne tombe : refus. Certainement très politique, ce refus ouvre sur une perspective bien plus enthousiasmante. Par un curieux hasard, sans nous être concertés, Yves Gigou, Claude Louzoun et moi contactons le même jour Stéphane Gatti à La Maison de l’arbre à Montreuil, un lieu inauguré vers la mi-novembre par l’association La Parole errante autour d’Armand Gatti. La salle est libre le 7 février. Nous y allons immédiatement Yves et moi. Salle immense. Allons-nous pouvoir la remplir ? Au rythme des inscriptions, aucun doute !
Des personnalités sont contactées et donnent très vite leur accord pour intervenir : Jack Ralite, l’ancien ministre de la Santé, auteur d’un discours mémorable en 1983, Jean Oury, Dominique Voynet, maire de Montreuil, Emmanuel Constant, maire de Noisy-le-Grand et président du conseil d’administration de l’hôpital de Ville-Évrard, Gilles Delbos, président du CA de l’hôpital de Villejuif, Serge Portelli, magistrat renommé.
Forum et manifestion
D’ici le 7 février, deux événements vont jalonner notre mouvement : un forum à Reims, le 26 janvier, et la participation du Collectif à la manifestation contre la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », dite HPST, de Roselyne Bachelot, le 29 à Paris. Le forum de Reims avait été organisé dès la mi-novembre par Patrick Chemla, participant à la création des « 39 », suite au rejet de l’enseignement « Psychanalyse et psychothérapie institutionnelle » par les responsables de la faculté de psychologie de Reims, enseignement qu’il animait avec son équipe depuis plusieurs années. Cette attaque au nom d’un « recentrement » sur les orientations cognitives, visait à réduire la diversité des approches théoriques et cliniques dans la formation des psychologues. Ce forum sous les auspices de la maire de Reims, Adeline Hazan, future Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, sera une belle et stimulante répétition du meeting de Montreuil.
Quant à la vaste manifestation parisienne contre la loi HPST, elle nous permettra de mesurer la qualité et l’importance de la mobilisation des gens autour des « 39 ».
La date du meeting approche. Face à l’ampleur de l’écho, nous décidons de tenir meeting toute la journée au lieu de l’après-midi initialement prévue : nous approchons les 20 000 signataires à l’Appel contre la nuit sécuritaire, et les 1 000 inscriptions sont dépassées… Des comédiens sont contactés. Certains vont faire des intermèdes entre les interventions, intermèdes poétiques sur l’hospitalité, citant Edmond Jabès, fortes déclarations d’Antonin Artaud, d’autres vont intervenir dans la salle au cours des moments de pause, avec de grands tuyaux pour susurrer des paroles poétiques. La poésie, la culture voisinent l’organisation de l’accueil café et la préparation des sandwichs. Des tables sont disposées alentour pour celles et ceux qui souhaitent laisser leur contact et leurs disponibilités.
Après une ultime réunion rue de Charenton, nous sommes un petit noyau pour organiser le tour des interventions, chez Mathieu Belhassen et Loriane Brunessaux, animateurs de l’association des jeunes psys, Utopsy. Il est minuit lorsque nous finissons, et nous comptons le nombre des interventions : TRENTE-NEUF.
À demain, huit heures, à Montreuil.
Paul Machto
Épisodes précédents :