Ah… le fameux modèle à la française. C’est devenu une expression réflexe : chaque fois que l’on réfléchit à une évolution législative, chaque fois que l’on débat d’une nouvelle loi, la réponse fuse : « Nous allons mettre au point un modèle à la française »…
Dernier exemple, la fin de vie médicalisée. Tous l’ont dit, répété. En recevant les conclusions de la Convention citoyenne qui s’est prononcée pour une « aide active à mourir » mais sous conditions, Emmanuel Macron a ainsi expliqué qu’il attendait du gouvernement un projet de loi sur la fin de vie « d’ici la fin de l’été ». Puis il a ajouté souhaiter mettre en place un « modèle français de la fin de vie ». Pour les malentendants : « Le modèle français » est donc à définir dans les trois mois qui viennent.
Même son de cloche chez Alain Claeys, membre du comité d’éthique (CCNE) et un des deux rapporteurs de l’avis sur la fin de vie. Voilà ses mots : « Nous n’avons pas à dire qu’il faut faire du droit, ce n’est pas notre rôle. Mais la question à laquelle nous devons répondre c’est, si le législateur venait à s’emparer du sujet, quelle est notre position. Le CCNE considère qu’il existe une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir, à certaines conditions strictes », explique l’ancien député. Non pas un modèle, donc, mais une « voie à la française ».
Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée, est, quant à elle, encore plus directe : « C’est ensemble, avec les parlementaires et les soignants, que nous coconstruirons ce modèle français autour d’une aide active à mourir, mais aussi de mesures pour accompagner plus largement la fin de vie, le deuil et soutenir les proches aidants. » Auteur de la première loi, Jean Leonetti n’est pas en reste. Dans le Figaro du 7 avril 2023, il explique que ce « modèle français » existe déjà, « c’est la loi actuelle ! Elle va très loin dans le respect de l’autonomie et la préservation solidaire de la dignité de la personne sans donner la mort ».
C’est donc un passage lexical obligé. Mais on a plutôt l’impression de voir non pas un modèle à la française mais une prétention à la française. La façon dont certains se gaussent de la situation belge, ou néerlandaise, et maintenant espagnole, a quelque chose de méprisant. Comme si les autres n’avaient rien compris. Donnant le sentiment que « nous les Français, nous sommes moins bêtes que cela », et que l’on va inventer un modèle parfait, donnant d’un côté la liberté aux médecins, de l’autre aux patients, et que parallèlement, on va faire baisser drastiquement les demandes avec une priorité donnée aux soins palliatifs (priorité que l’on attend depuis vingt ans), tout cela en réaffirmant des principes éthiques intangibles. Qui peut mieux dire ?
En attendant, l’on se demande parfois si notre vœu d’un « modèle à la française » n’est pas notre façon bien hexagonale de procrastiner. Et donc, de ne rien décider.
Éric Favereau