Quand la confiance dans la parole des instances politiques n’est plus là, quand celles-ci se taisent alors qu’il faudrait dire et expliquer, ce sont les lanceurs d’alertes, re-informateurs et « experts » qui se disputent le podium de la vérité. Ainsi se créent et se défont les certitudes dans un paysage déboussolé : quand la légitimité et le savoir ne sont plus des repères, qui croire ? D’autant que dans ce ratafia, ce sont les imposteurs, les mythomanes et les egos qui surnagent le mieux.
La tentation devient grande de « faire justice soi-même ». Au lieu de revenir vers les compétences oubliées (et la France, en dehors des grosses machines endormies, ne manque pas d’organisations d’expertise compétentes, indépendantes et réactives), chacun monte son petit tribunal, son officine de vérification. La crise dite « de la Covid », avec son monceau de désinformation, a installé le fact-checking dans le paysage quotidien. Pratiquement tous les médias ont leur service ou leur rubrique.
Dans ce pis-aller, il faut s’en féliciter : que de pétards mouillés, d’absurdités traitées comme telles ; avec parfois un vrai travail d’investigation.
Mais un label peut, hélas, être dévoyé (le « Bio » montre fort bien l’exemple) ; soit par incompétence, soit pour servir une opinion ou un intérêt quelconque. Un levier puissant puisque, par définition : fact-checké = vrai.
Un must du genre a été offert aux auditeurs de France Info le 23 février 2023 dans la rubrique « Le vrai du faux » (le doute n’est apparemment pas prévu). Le titre accroche « Est-ce vrai qu’EDF vend à 42 euros son électricité à Total qui lui revend entre 200 et 400 euros comme le dit Fabien Roussel ? ». La radio n’y va pas par quatre chemins : « Si le début de la déclaration est vrai, Fabien Roussel est ensuite caricatural, en particulier sur Total. » Pour le média, le premier secrétaire a accusé à tort TotalEnergies d’avoir gagné de l’argent sur le dos d’EDF. TotalEnergies a, du reste, immédiatement qualifié ces propos de « calomnieux et diffamatoires ».
Sur BFM TV, la veille, le premier secrétaire du Parti avait dit ceci : « EDF vend de l’électricité à 42-46 euros à des fournisseurs privés dont Total, et Total revend cette électricité à 180, 200, 300, 400 euros aux gens, mais aussi à EDF car EDF n’a plus assez d’électricité. » Notons pour commencer que la phrase de Fabien Roussel est plus balancée que la présentation qui en est faite dans l’accroche de France Info.
Il est ensuite vrai que l’ubuesque dispositif ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) impose à EDF de vendre un quota d’électricité à bas prix (42 à 46 euros le mégawattheure) à ses concurrents, dont TotalEnergies. En 2021, pour tenter de contenir l’envolée des prix, le gouvernement a obligé EDF à augmenter ce quota. Résultat, EDF, en déficit chronique de production nucléaire, a dû racheter des mégawatts, en particulier à TotalEnergies, pour pouvoir fournir ses clients réguliers. Et là, il a dû les payer au cours du marché, c’est-à-dire autour de 300 euros. Ce que confirme la direction de TotalEnergies.
On ne voit donc plus très bien où est le raccourci caricatural dans la déclaration de Fabien Roussel. Pour le fact-checker, c’est clair : ce ne sont pas les mêmes mégawatts qui ont été bradés puis rachetés au prix fort par EDF. Du reste, « l’électricité de l’ARENH ne peut pas être revendue ». Ah ! Bon ? Et pourquoi des distributeurs privés en achètent-ils alors ? Là, on ne comprend plus très bien. Cela permet au chroniqueur de conclure « il est faux de dire que l’électricité achetée par Total à EDF à bas prix a été revendue par Total jusqu’à six fois plus cher à EDF ». Tellement faux que calculette en main, c’est exactement cela. À une nuance près (mais a-t-elle une importance face à l’énormité du dysfonctionnement dénoncé par Roussel ?) : le premier secrétaire n’aurait pas dû dire « qui lui revend cette électricité… ».
Voilà comment au lieu d’ouvrir un débat salutaire sur les dysfonctionnements et le scandale de la distribution de l’énergie, on l’enterre sous des arguties. Décidemment, il vaut mieux y regarder à deux fois avant de refermer un dossier ; fact-checké ou pas.
Bernard Bégaud