Le Covid à Wuhan en janvier 2020 ? C’est le point de départ mais cela paraissait si loin. Plus de dix millions d’habitants allaient être confinés, mais lorsque la nouvelle s’est répandue, qui ne s’est pas dit « Les Chinois ? Ils sont loin, ils sont habitués à des mesures autoritaires, au port du masque… » ?
Habitante et originaire de cette ville, l’écrivaine Fang Fang s’est décidée à tenir un journal, qu’elle tiendra soixante-deux jours. Un journal troublant, car il provoque une proximité inédite. On se lie avec elle, comme avec une voisine, avec ses mots, avec ce qu’elle raconte. L’air de rien, elle décrit ce que nous vivrons, en France, quelques semaines plus tard : les mêmes craintes, les mêmes lenteurs, le poids d’un temps immobile, la question des courses, de l’alimentation, la tristesse, l’importance du temps qu’il fait, ces cerisiers qui se préparent, mais aussi la solitude et la solidarité, beaucoup.
Il y a aussi la colère de Fang Fan devant des responsables qui auront trop tardé à reconnaître puis à déclencher ce confinement.
Wuhan, ville close montre que si le Covid est planétaire, les habitants de ladite planète ont la même vie et un même cœur qui bat. Extrait.
La catastrophe (p. 146)
« Wuhan vit une aujourd’hui une catastrophe. Qu’est-ce qu’une catastrophe ?
Ce n’est pas d’être obligé de porter un masque ou de rester chez soi quelques mois sans sortir ni même d’avoir besoin d’un laissez-passer pour aller dans d’autres quartiers.
La catastrophe, ce sont les registres des décès qui se remplissent en quelques jours, quand un seul suffisait pour plusieurs mois. La catastrophe, ce sont ces cadavres fourrés dans des sacs mortuaires qui partent pour le crématorium, entassés dans des fourgons, quand d’ordinaire un mort est mis dans un cercueil et conduit seul par un véhicule.
La catastrophe, ce n’est pas d’avoir un mort dans sa famille, c’est que votre famille entière soit anéantie en quelques jours, en deux semaines. La catastrophe, c’est de traîner son corps fiévreux dans le vent, le froid et la pluie pour tenter de trouver un lit, d’être admis dans un hôpital et de ne pas en trouver.
La catastrophe, c’est de faire la queue dès l’aube jusqu’au lendemain minuit pour s’enregistrer à l’hôpital, et de s’effondrer au sol à la fin, parfois sans même avoir réussi. La catastrophe, c’est d’attendre chez soi une notification pour un lit d’hôpital et lorsqu’elle arrive enfin, vous avez déjà rendu votre dernier souffle. La catastrophe, ce sont ces patients gravement malades qui arrivent aux urgences, et qui, s’ils meurent, auront vu leurs proches pour la dernière fois à l’entrée de l’hôpital, sans avoir pu leur dire adieu. […]
Dans ces temps de catastrophe, il n’y a plus ni calme ni tranquillité, il n’y a que la mort à regret des malades, il n’y a que le chagrin viscéral des familles meurtries par le deuil et les vivants, « êtres-vers-la-mort » qui n’ont d’autres choix que d’aller de l’avant… »
Éric Favereau
Wuhan, ville close, Fang Fang, éditions Stock