Existe-t-il plus bel exemple, plus beau succès de santé publique que celui de la vaccination ? Combien de centaines de millions de décès évités ? De maladies qui fauchaient autrefois des pans entiers de population et qui ont pratiquement disparu ? Un acte citoyen pour se protéger mais aussi protéger les autres. Le tout sans distinction de classe, une couverture accessible à tous ; bref, un rêve social absolu.
Ceci, c’était avant que les politiques sanitaires ne se couchent devant les intérêts des actionnaires des groupes pharmaceutiques. Avant que les prix, autrefois de quelques euros la dose, ne deviennent fous depuis que l’on a intelligemment mis dans le logiciel des décideurs la logique scandaleuse de la Health Technology Assessment (HTA. Évaluation des technologies de santé). Avec cette machine à perdre érigée en dogme consensuel, la valeur ajoutée des technologies de santé doit s’évaluer en considérant les conséquences (sous-entendez les bénéfices) de leur utilisation sur le long terme. Ainsi, si un vaccin évite de contracter la maladie X, il devient normal que son prix prenne en compte les coûts qu’aurait induits la maladie pour la société ou le système d’assurance : hospitalisations, bilans, traitements, séquelles, arrêts de travail, etc. À ce jeu, les vaccins contre la tuberculose, la poliomyélite et autres, au lieu de presque rien, auraient dû valoir des centaines ou des milliers d’euros la dose et notre système d’assurance maladie aurait explosé depuis longtemps.
La conséquence attendue et vérifiée est la mise en question, si ce n’est à mort, des deux principes de base de la vaccination : l’accès universel sans discrimination de revenu ni de classe sociale et l’immunisation la plus complète possible de la population pour faire tomber le risque de contamination à un niveau négligeable ou nul.
Personne ne semble trop s’en émouvoir ; pas même l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un temps elle-même promotrice de l’approche HTA !
Cerise sur le gâteau, l’acte devient contraire à son principe fondateur : ce sont les personnes qui devraient être prioritairement protégées qui le sont in fine le moins.
Ainsi, une vaccination contre le papilloma virus, censée protéger, entre autres, du cancer du col utérin coute plus de 300 euros avec un reste à charge supérieur à 80 euros. Hypocritement, les responsables sanitaires, visiblement peu émus par le prix, expliquaient que le surcoût est « généralement » pris en charge par les mutuelles, les complémentaires santé. Bref, on fait comme si tout le monde pouvait souscrire un tel programme et si les remboursements ne se répercutaient pas sur les cotisations. Résultat : avant l’instauration de la campagne scolaire (à la réussite mitigée), ce sont les jeunes filles des classes sociales les plus défavorisées, celles qui risquent d’être les moins bien suivies médicalement, qui ont été les moins vaccinées. Un succès ! Un peu comme si au début du XXe siècle, la vaccination contre la tuberculose n’avait été accessible qu’aux privilégiés des beaux quartiers.
Plus fou encore : le prix du Beyfortus® (nirsévimab), vaccin ou, plus exactement, traitement préventif de la bronchiolite du nourrisson à virus respiratoire syncitial (VRS) ; 401, 80 euros la dose, remboursée à seulement 30% par l’Assurance maladie, soit… 281 euros de reste à charge ! Là, le système a carrément dérapé : on nous martèle (en tout cas, depuis que le dit vaccin est disponible) que protéger les nourrissons des désastres de la bronchiolite est une priorité absolue de santé publique mais le produit n’est remboursé qu’à 30 % (suite à un enthousiasme mitigé de la Haute Autorité de Santé) ; ceci après qu’on lui ait accordé un prix déraisonnable le réservant aux plus aisés. Qui s’en émeut ? Qui osera encore parler de santé « publique » ? Citons cependant la prise de position de la société française de pédiatrie demandant que le remboursement soit porté à 65%, sans, visiblement, s’émouvoir ni même s’étonner du prix de base ahurissant. De toutes façons, 65% laisserait quand même aux parents 141 euros à débourser, ce qui ne changera pas fondamentalement le problème. Quant à l’État Providence, il devrait débourser 157 millions d’euros par an, sur la base de 600 000 nourrissons vaccinés.
Mieux vaut ne pas relire la définition de la santé publique par l’OMS, il semble qu’elle appartienne déjà au passé.
Bernard Bégaud