Les comptes rendus que nous écoutons sont des notes prises par les « appelantes-volontaires » du département de Seine-Saint-Denis, chargées de lancer des appels téléphoniques vers les personnes âgées, les handicapés et les personnes relevant des minima sociaux. Elles veillent à prolonger des droits suspendus, envoyer des secours au domicile, faire le lien avec des médecins ou des psychologues. Or, lors des appels, très régulièrement, c’est la fille ou la petite-fille qui décroche. On peut dire que l’épidémie a réactualisé ces liens, une forte teneur de la communauté affective et matérielle, d’affinité et d’alliance, d’où découlent les soins familiaux et les attentions aux proches. La famille élargie est là, en souterrain. À défaut, c’est l’immense solitude, les incompréhensions et les impossibilités d’agir. Le téléphone a ses limites. Les petites aides ponctuelles aussi. La distance pèse lors des urgences. La clé de protection pour bon nombre de personnes de grand âge du 93, malades ou en situation de handicap, c’est la famille élargie aux frères et sœurs, aux tantes et nièces, et avant tout aux enfants dont les filles forment la cheville ouvrière. Ces liens sont dominés par des rapports affectifs denses, qui se manifestent dans le temps long et dans l’espace, malgré parfois la distance d’habitation. Parce qu’elles ont été un rouage important pour certaines dans l’histoire migratoire – lien d’amarre, garant de la transmission –, ces familles ont fondé une nouvelle lignée en France de sorte à ne pas tomber dans l’oubli. Ces lignées sont fortement présentes en Seine-Saint-Denis. Lorsque nous parlons des filles, des petites-filles, elles ont elles aussi un âge certain, déjà mères, voire grand-mères, mais elles forment ce socle des aidantes, silencieusement. Et il serait temps de leur accorder un statut social et financier afin de consolider ce travail invisible.
Jean-François Laé