La pandémie a révélé les forces et les faiblesses de notre système de santé. Ses forces ont été essentiellement de deux ordres : la gratuité des soins assurée par la Sécurité sociale et la mobilisation des soignants, même si le « quoi qu’il en coûte » ne pouvait à lui seul effacer les dégâts causés par dix années de gestion de l’austérité budgétaire hospitalière avec pour objectif déclaré « passer de l’hôpital de stock à l’hôpital de flux ». Nos faiblesses sont nombreuses et cumulatives : le néo-management entrepreneurial mis en place depuis la loi HPST (2009) s’est ajouté aux distorsions de notre système de santé, historiquement construit autour du traitement des maladies aigües (bénignes ou graves) et des gestes techniques. Leur rémunération à l’acte ou au tarif est un véritable mantra pour la médecine libérale « canal historique ».
La conjonction de trois épidémies
Or l’épidémie de SARS-CoV-2 fut, voire reste, la conjonction de trois épidémies : l’épidémie infectieuse, l’épidémie des maladies chroniques (l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires et l’insuffisance respiratoire, responsables de deux tiers des formes graves), et l’épidémie de la pauvreté. C’est ainsi que la Seine-Saint-Denis détient le record de mortalité de la Covid bien qu’elle soit le département le plus jeune de France métropolitaine. Au cœur de ces inégalités sociales figure l’inégalité de genre, puisque les métiers de première nécessité sont exercés majoritairement par des femmes, ce sont essentiellement elles qui ont eu en charge le soin des enfants pendant les périodes de confinement et elles qui furent victimes de l’augmentation des violences conjugales.
Pour tirer les leçons de la Covid et nous « réinventer », comme nous y engageait le président de la République, il faut partir de la réalité de la pratique médicale. Or, il y a bien longtemps que la médecine n’est plus une mais quatre. La première est celle des maladies aigües bénignes et des gestes techniques simples, où la médecine libérale ancienne a fait ses preuves, la deuxième est celle des maladies aigües graves et des gestes techniques complexes, pour lesquels la création des CHU en 1958 permit de combler notre retard. Ces deux médecines sont centrées sur la maladie, c’est-à-dire sur les techniques diagnostiques et thérapeutiques. La troisième médecine est celle des maladies chroniques, maladies qu’on traite mais qu’on ne guérit pas. C’est le patient avec ses éventuels aidants qui va devoir gérer le traitement au jour le jour. L’observance est un problème majeur, et son amélioration passe par une relation de partenariat. Raison pour laquelle cette médecine, biomédicale mais aussi psychosociale, est centrée sur la personne. Enfin, la quatrième médecine, qui s’occupe des populations pour optimiser la durée de vie en bonne santé grâce à la prévention, est celle de la santé publique. Pour analyser, agir et évaluer, elle a besoin d’un relevé et d’un suivi de données populationnelles fiables, permettant des études statistiques et la construction de modèles. La prévention suppose des moyens pour le développement d’une politique de santé environnementale, l’éducation à la santé dès l’école et tout au long de la vie, les dépistages et les vaccinations, la médecine du travail, la médecine de l’enfance, de l’adolescence et de la famille. Dans cette médecine, ce n’est pas le patient qui consulte le professionnel de santé, ce sont les professionnels qui vont vers les personnes… Or, si nous sommes encore parmi les meilleurs pour la médecine des maladies aigües, nous sommes mauvais pour la médecine des maladies chroniques, et très mauvais pour la médecine de santé publique, si bien que la France est mal classée parmi les pays européens pour l’espérance de vie en bonne santé.
Il ne peut y avoir de modèle unique
Les médecins ont leur part de responsabilité, dans la mesure où la médecine libérale détestait la santé publique, dans laquelle elle voyait la mainmise de l’État, cependant que la médecine hospitalière universitaire célébrait les beaux cas cliniques et plaçait la santé publique dans les derniers rangs de la hiérarchie des disciplines médicales, la qualifiant de « médecine administrative ». Chacune de ces quatre médecines relève d’une formation des professionnels, d’une relation soignants/soignés, d’une collaboration médecins et paramédicaux, spécifiques. De même, la collaboration avec des disciplines non médicales, des sciences dites « dures » aux diverses sciences humaines, varie d’une médecine à l’autre. Le mode de financement/rémunération doit également être adapté. Il ne peut y avoir de modèle unique. Ni le paiement à l’acte ni la T2A, qui conviennent pour les traitements standardisés et programmés des maladies aiguës et des gestes techniques, ne sont adaptés au financement/rémunération des médecines 3 et 4 qui, toutes deux, nécessitent un travail en équipe pluriprofessionnelle, une coordination structurée ville-hôpital, un dossier médical partagé. Toutes deux accordent une place centrale à la prévention. La prévention est en effet un continuum allant de la prévention primaire, que ces deux médecines 3 et 4 ont en commun, à la prévention secondaire et tertiaire, qui relèvent de l’éducation thérapeutique du patient. Contrairement aux médecines 1 et 2, ces médecines ne peuvent fonctionner en silos, elles nécessitent un système de santé intégré.
De ce point de vue, le Ségur n’a rien réglé. Le jour d’après risque fort de ressembler au jour d’avant avec, en plus, un trou de la Sécu devenu un puits sans fond.
André Grimaldi