Selon le Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers, 269 services hospitaliers publics sont menacés de fermeture ou à tout le moins de possibilités limitées de fonctionnement suite à la mise en application le 3 avril 2023 de de la loi RIST votée il y a deux ans, et visant à limiter la rémunération des médecins intérimaires qui pouvait atteindre 4 000 euros par 24 heures. La carte montre la répartition géographique de ces menaces. À chaque point correspond un hôpital public. La taille du point est proportionnelle au nombre de services menacés dans l’établissement concerné, toujours selon le syndicat mentionné plus haut.
Ces chiffres n’ont rien « d’officiel » mais ils n’ont pas été démentis. Mais que signifie « officiel » en la matière, quand des services historiquement reconnus pour leur sérieux peuvent être instrumentalisés ou ne sont pas sollicités ? Une fois n’est pas coutume : faute d’autres, ces chiffres méritent d’être utilisés dans l’espoir qu’ils pousseront à rendre publics des chiffres mieux renseignés. Au reste, ces données pèchent plutôt par défaut que par excès, comme le montre la situation dans certains départements (l’Oise, la Marne, le Haut et le Bas-Rhin, la Meurthe-et-Moselle, l’Indre-et-Loire, la Corrèze, le Gers, l’Aude, Mayotte) ou dans certaines régions (l’Alsace, la Bourgogne et la Franche-Comté). Tout y va-t-il si bien que ces chiffres le disent ? On peut pour le moins s’étonner de l’absence totale de signalements.
Prenons l’exemple de la Nièvre où seul l’hôpital de Nevers est mentionné… Pourtant, les Nivernais vivent au quotidien les difficultés de recrutement de Clamecy, de Decize, de Château-Chinon, de la Charité-sur-Loire, de Cosne-Cours-sur-Loire, et pas seulement de Nevers ! Selon ces chiffres, ces situations concernent au total 146 villes réparties dans 78 départements, soit les trois-quarts d’entre eux. Par ordre d’importance, les menaces concernent les blocs opératoires à 29%, suivis de la psychiatrie à 19% et des services de médecine (18%), et des urgences (11%). Soixante pour cent (60%) des villes concernées comptent moins de 25 000 habitants et 80% moins de 50 000. C’est la France rurale, celle des villes petites et moyennes qui l’animent qui est la plus touchée. Les établissements concernés sont souvent des établissements d’activité assez faible et surtout la nuit. C’est vrai. Mais si les populations ne doivent pas abuser du service public en réclamant toujours plus, c’est aussi au service public de s’adapter aux besoins de la population. En France elle est ainsi répartie, et les données géographiques sont telles qu’il est des coins vastes et peu peuplés, beaux l’été mais souvent difficiles d’accès. Les villes y sont petites et moyennes, les bassins de population limités à quelques dizaines de milliers d’habitants. Sinon pousser les habitants à s’en aller, on n’y peut rien changer, ou alors la France se serait plus la France et perdrait beaucoup de sa richesse. Noblesse oblige, pourrait-on dire.
L’application de la loi RIST conduit à une concentration accrue des soins hospitaliers et donc à leur éloignement toujours plus grand. L’absence de données publiques, bien établies, vérifiables, est contre-productive. Outre qu’elle peut faire croire à la volonté de dissimuler des informations, elle laisse place à des suppositions qu’on espère gratuites mais qui vont bon train dans la population : la situation arrangerait la puissance publique car, par ce biais, elle pourrait se défausser à bon prix de la responsabilité de fermetures hospitalières. Faut-il évoquer la postérité de Ponce Pilate et de son fameux « Je suis innocent du sang qui sera versé » ?
Emmanuel Vigneron
Les pas de côté de Bernard
Il fut un temps, pas si lointain, où tout ceci n’était même pas envisageable. Le système tournait, parfois avec difficultés, mais l’essentiel était assuré ; les praticiens hospitaliers étaient tous sur la même grille de rémunération et l’activité ne se quantifiait pas sur tableurs Excel©. Il faut, hélas, l’admettre, l’hôpital et notre système de soins ont été victimes, au cours des vingt dernières années, d’un véritable acharnement bureaucratique qui a imposé une longue série de mesures, aux effets mal anticipés, aggravant les déséquilibres, entre établissements, entre régions, entre secteur public et privé, et entre soignants au sein d’un même établissement. La loi du 21 juillet 2009, dite « loi HPST » (Hôpital, patients, santé, territoires) ou « loi Bachelot », n’a pas arrangé les choses. Avant tout basée sur un renforcement du contrôle administratif (directeurs d’établissement et Agences régionales de santé avec leurs 8 500 salariés), elle visait à réorganiser le système de santé au niveau régional et à optimiser la complémentarité entre médecine libérale et établissements publics et privés.
Quatorze ans plus tard, la situation et le service rendu se sont effroyablement dégradés : les inégalités et difficultés d’accès aux soins sont devenues criantes et parfois inacceptables, nombre de services hospitaliers sont menacés de fermeture, souvent dans les zones les plus démunies, des disparités de rémunération choquantes se sont installées entre praticiens du secteur public et, chaque jour, des soignants jettent l’éponge ou préfèrent le statut de prestataire intérimaire. De nombreux services ne pourraient plus fonctionner sans eux, malgré les dérives que la loi RIST cherche à contrer. Or cette loi, qui tente de corriger les échecs de celles qui l’ont précédée, risque de déstabiliser encore plus un système qui ne sait plus où il va. Tout ceci pour avoir méprisé une évidence : pour la majorité des soignants, les conditions de travail, la dynamique d’équipe, la motivation pour une activité qui a un sens, la priorité donnée au soin passent avant l’incitation financière. Une telle course à l‘échalote est, par essence, vouée à l’échec : en ce domaine, les plus offrants, sont rarement les établissements les plus démunis.
Bernard Bégaud