Chaque mois des cartes, des graphiques, des tableaux, tous inédits, résultats d’études nouvelles. De quoi nourrir nos réflexions en les appuyant sur des faits établis.
Accès aux soins : où sont les véritables « emmerdés » ?
Les déserts médicaux? Enfin, a-t-on envie de dire, les candidats à la présidentielle, semblent s’en intéresser. Des mots comme des slogans? Les cartes qui suivent vont leur permettre de se faire une idée précise, territorialisée des déserts médicaux.
La première est celle où la densité médicale est d’au moins 25% inférieure à la densité moyenne française.
La seconde, celle où la densité oscille entre -25 et +25 % autour de la moyenne.
La troisième, celle où la densité est supérieure de plus de 25% à cette même moyenne.
Quelques remarques :
• Les données ici utilisées sont celles du Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS). La date de référence de l’extraction date de 2020. Compte tenu de l’inertie des effectifs due à la durée de la formation médicale et à une gestion sans à coup brusque des postes mis au concours, nous pouvons considérer que ces données décrivent bien la situation en ce début 2022.
• Les mesures portent sur les seuls médecins généralistes libéraux exclusifs et d’exercice mixte. Ils constituent ceux qu’on appelle aujourd’hui les médecins de premier recours et qu’on nommait hier les médecins de famille. C’est leur absence ou du moins leur rareté qui fait ressentir un manque.
• L’indicateur mesuré est ici celui des écarts à la moyenne du nombre de médecins pour 10 000 habitants.
Un seuil injustifié
Le ministère de la Santé fixe (verbalement) ce seuil à -30% pour parler de désert médical, mais pourquoi 30% ? Il n’y a aucune justification à ce seuil. Pour ma part, dans la pratique et s’agissant de taux d’équipements dont la puissance publique a la responsabilité, je considère que -20%, c’est déjà tout à fait inacceptable et qu’on devrait plutôt considérer comme « impondérable » un écart de seulement ± 5%. L’effort de la puissance publique doit en effet être celui de resserrer la concentration d’une loi normale et non de l’étaler, ce qui équivaut si l’on veut à créer toujours davantage du « commun » ou de l’égalité.
Le seuil de 25% reconnu ici est donc déjà très large. Il permet de « parler ensemble » pour essayer de sortir d’une situation qui, malgré les promesses et les discours, ne s’améliore pas. Avancer « step by step », cela fait moins de buzz mais c’est beaucoup plus sûr.
10 millions de personnes, 40% du territoire
Aujourd’hui, 40 % du territoire national doit être qualifié de désert médical. Ici, trouver un médecin est non seulement difficile mais en plus, quand on en trouve un, il est souvent loin. De quoi dissuader de recourir aux soins, même quand ils sont absolument nécessaires, de quoi ne pas pouvoir bénéficier des conseils éclairés d’un médecin, par exemple pour comprendre le bien-fondé de la vaccination. Cette situation concerne 10 millions de personnes, 15% de la population. Ce n’est pas rien. Tous ne sont pas des ruraux. De nombreuses banlieues, où la situation est souvent indigne d’une soi-disant grande nation médicale, sont concernées. Moins de 10% des médecins généralistes libéraux desservent cette population quand 30% d’entre eux desservent les 20% de population les mieux lotis. Il suffit d’énumérer les noms de ces bassins de vie pour se représenter qui ils sont : ils sont d’abord une France rurale où l’on relève les beaux noms qui sentent bon les fromages fermiers et l’histoire de France, parmi lesquels en partant des plus mal lotis : Parigné-l’Évêque, Criquetot-l’Esneval, Châtillon-Coligny, Les Aix-d’Angillon, Ferrières-en-Gâtinais, Fresnay-sur-Sarthe, Saint-Lubin-des-Joncherets – Nonancourt, Chaumont-en-Vexin Varennes-sur-Allier Villaines-la-Juhel.
Ils sont aussi ceux de la désertification industrielle : La Grand-Combe, Tonneins, Digoin, Saulieu, Port-la-Nouvelle, La Ferté-Gaucher, Nogent-sur-Seine, Seyssel, Valognes, Revin, Baccarat, Suippes, Thizy-les-Bourgs, Cerizay et tant d’autres.
Au total, un tiers des bassins de vie sont désormais concernés : 544 sur 1 666 bassins de vie.
Face au Sud, plébiscité
En regard, qui sont les plus favorisés ? Leur énumération suffit à nous faire comprendre que ce ne sont pas les besoins qui guident la répartition :
Les villes d’eau, de repos et de villégiature, les stations de montagne, là où la santé et le « bien-être » sont un véritable business, au Sud de préférence : Cambo-les-Bains, Amélie-les-Bains, Gréoux-les-Bains, le Mont-Dore, Luchon, Argelès-Gazost, Bourg Saint-Maurice, Dax, Font-Romeu-Odeillo-Via, Villard-de-Lans.
Les bords de mer, du Sud de préférence : Sausset-les-Pins – Carry-le-Rouet, Bayonne, Saint-Tropez, Sète, Marseillan, Cassis, Banyuls-sur-Mer mais aussi ceux de l’Atlantique et de la Manche : Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-en-Royans, La Rochelle, Pornic, Saint-Malo.
Voilà où se pressent les médecins. Mais sur 40% du territoire, 10 millions de personnes peinent à trouver un médecin généraliste disponible et proche d’eux. Pour le coup, ceux-là qui en tant que tels « n’emmerdent » personne sont vraiment « emmerdés ». Et de fait, « emmerdés » par ceux qui ont en charge de leur « garantir la protection de la santé ». Ne parlons pas de ces autres garanties que désigne la Constitution, « la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », cela ferait vraiment beaucoup « d’emmerdés ».
Emmanuel Vigneron