« Je vis cloîtrée dans une chambre »

Lecture de témoignages de vieux, le 14 février, à la Cartoucherie

Bonjour Madame, 

En réponse à votre mail, j’ai le regret de décliner votre proposition de rencontre ou de communication téléphonique parce que je suis malade, fatigable et pas très réactive, il faut avouer. 

Moi… Je vis cloîtrée dans une chambre dont la porte-fenêtre est cassée et ne s’ouvre plus, dont les doubles-rideaux sont fermés parce que je souffre d’ophtalmite quasi en permanence, dont la porte-couloir est fermée à clé à cause d’un résident agressif qui entre dans n’importe quelle chambre et frappe… Je vis dans un corps qui souffre d’une maladie neurologique rare (génétique) qui n’intéresse pas grand monde. J’ai une famille « distante ». Aussi, il est possible que dans ce contexte un peu ‘carcéral’ depuis plusieurs années, mes réflexions ne soient plus très objectives. 

Déjà,  et pour cause, les personnes qui se penchent sur la situation des résidents et interviennent, ce sont dans la majorité des cas les familles. Or, il y a un profond décalage de comportement des soignants lorsque la famille est présente. Déjà, ils deviennent subitement présents à côté du lit de la personne âgée, tout sourire et amabilités, à plus forte raison si le visiteur est quelqu’un de bien placé socialement. Des soignants « tout sourire », au contact physique avec des résidents « tout sourire », ça n’existe que sur les publicités pour les Ehpad,  mais pas dans la réalité. Le quotidien, c’est plutôt « j’ai pas l’temps » – ou bien les réponses « Ah ! Bon ! ». Et ça clôt le problème. 

Néanmoins, après cinq ans de résidence en Ehpad, je vais tenter de formuler quelques réflexions ci-dessous. C’est « en vrac » mais je ne suis pas en forme  : 
– En ce qui concerne la maltraitance,  son appréciation est subjective et souvent évaluée par celui qui a une forme de pouvoir et rarement celui qui subit. Ce qui l’est pour un résident ne l’est pas forcément pour un soignant « blindé » à la souffrance d’autrui et qui ne s’imagine même pas comme étant maltraitant. Enfermer un résident dangereux, par exemple, est protecteur pour les autres résidents et violent pour celui qui le vit (cela se passe en ce moment à mon étage). Il y a des négligences qui,  cumulées, sont de la maltraitance et on joue sur les mots pour noyer le poisson. 

– Je souffre de ne pas connaître le visage de bon nombre de soignants du fait du port des masques, mais sais aussi qu’ils sont encore plus à plaindre que moi.  

À partir de mon expérience personnelle en Ehpad, dans le domaine relationnel avec le « monde des vivants », je peux témoigner des choses suivantes :  
– Il me restait quelques amis congénères (j’ai actuellement 78 ans) qui ont cessé de venir me visiter lors du premier confinement. Aucun n’a repris ses visites car l’hystérie autour du mot Ehpad semble les avoir paralysés. Quand je les ai recontactés au téléphone après le confinement, ils semblaient gênés, trouvant toutes sortes de prétextes pour ne plus venir me voir. Les relations se sont éteintes. J’en suis vraiment attristée et mortifiée, il faut avouer. 
Juste deux lignes sur les fins de vie qui ont eu lieu dans les chambres adjacentes à la mienne : on meurt seul. Les soignants n’ont absolument pas de temps à consacrer aux mourants. On passe voir 10 secondes où ils en sont pour informer la famille.   
– Au sujet du comportement des soignants (tous niveaux) vis-à-vis des personnes àgées/handicapées : a priori, on s’adresse souvent à moi comme si j’étais « demeurée ». Il arrive qu’on parle de moi à la 3e personne devant moi. Quand j’exprime une demande, un avis, il plane souvent un doute sur le bien-fondé de ce que j’avance.  
– En tant que résidente isolée en chambre, je n’ai pas reçu d’information-maison préalable en matière de vaccination. Il se trouve que je suis probablement la personne la mieux informée de mon Ehpad dans ce domaine, du fait du gigantesque temps disponible dont je dispose et de l’intérêt que je portais déjà auparavant, à cette crise sociétale dans son ensemble. 

En ce qui concerne l’affaire Orpea, pour en avoir vu d’autres, je crains que les enjeux financiers brisent les élans et indignations ponctuels. Mais il faut agir quand même. Verra-t-on enfin une loi « Grand âge » émerger de tout cela ? 

Je vous assure que, de mon lit, je soutiens autant que je le peux les démarches dont j’ai connaissance qui parlent de respect, d’humanité, d’information et de liberté. 
Ce mail est un peu brouillon ; c’est ma modeste contribution de ce jour. Et dans ma situation, espérer contribuer tant soit peu est un bonheur ! 

Cordialement  

Marie-Andrée G.