
Le livre de Nicolas Demorand est impressionnant, touchant, courageux, utile, et l’on pourrait aligner encore bien d’autres qualificatifs. Car ce n’est pas rien que de se déclarer ainsi à un moment où la folie fait peur au point que l’on utilise le concept de santé mentale pour ne pas trop la nommer. Ce n’est pas rien de le faire quand on occupe un poste très exposé publiquement, où le regard (et l’écoute) de l’autre est très présent. Ce n’est pas rien quand on vit dans une société qui est à ce point soucieuse de normes, de classifications, de tiroirs, bref, d’ordre.
Nicolas Demorand l’écrit, donc. Il est malade. « J’ai résisté à ce diagnostic parce que je ne voulais pas être considéré comme un malade mental. J’ai fini par l’accepter et par essayer de m’y faire. C’est étrange : il faut à la fois baisser les armes et ne pas se révolter contre cet état. Et en même temps, accepter de se battre quand même. » Ou encore : « La souffrance psychique est une souffrance physique. C’est à hurler de douleur. Vous ne savez pas d’où ça vient. Ça n’a pas d’origine et ça n’a pas d’issue, ça n’a pas de sens et ça ne sert à rien. C’est une attaque de l’âme, de l’esprit. S’il fallait décrire le mode de pensée de la dépression, c’est la rumination. Vous ruminez sur le débris que vous êtes devenu. »
Comment ne pas être admiratif et touché ? Pour autant, ce livre, voire le contexte dans lequel il s’inscrit, déroute. Parfois peut affleurer une gêne, comme un trouble, comme des sous-entendus mal éclairés. Nous n’avons pas de réponses pour expliciter cette gêne. Nous avons des interrogations à un moment où la folie est malmenée, où le bulldozer des neurosciences impose un seul regard sur ce qui se passe dans nos têtes ou dans nos corps, avec un déroulement linéaire : vous êtes mal, il y a un trouble, il y a une classification, il y a un diagnostic, et au final, il y a ou il y aura un traitement. La maladie mentale ne serait en somme qu’une maladie comme une autre, avec simplement des recherches qui ont tardé à se développer dans ce domaine, et de là en découlent des prises en charge qui n’ont que trop tardé. La folie est ainsi fragilisée. Elle n’a plus rien à nous dire, il faut juste la réduire.
Nicolas Demorand en sait quelque chose. Il souffre, il doit porter l’incompréhension, les doutes, le désespoir aussi, et comme il le raconte, l’errance médicale. Nicolas Demorand atterrit à l’hôpital Sainte-Anne dans un des services de tradition très pharmacologique. Il n’a voulu ni chercher ni aborder la question de la cause, laissant ainsi toute la place à un modèle biologique comme cause première de ces dérèglements d’humeur.
En cette année de grande cause nationale où la psychiatrie publique n’a jamais été si mal en point, où simplement se faire soigner relève parfois de la tombola, son témoignage est fort. Et singulier. Il casse des barrières, bouscule des stéréotypes. « Il faut banaliser la maladie mentale », répètent les proches des malades qui connaissent ce que sont l’exclusion, la marginalisation, la honte. Mais voilà, l’histoire de Nicolas Demorand – et surtout sa prise en charge – est tout sauf banale.
Éric Favereau