Infirmières mercenaires ?

Personne n’ignore les conséquences de la pénurie d’infirmières dans les hôpitaux.
Aggravés par la pandémie et l’épuisement des équipes, les manques de soignants engendrent les fermetures de lits et les files d’attente. La crise accroît les difficultés du quotidien des équipes et des malades. Ces difficultés croissantes, les « infirmières sherpas » ne peuvent plus les résoudre sans impact sur les malades. L’inégalité et les pertes de chances sont au rendez-vous.

Heureusement, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France vient de sortir sa solution, son arme fatale. Issue d’heures de réunions et de mobilisation générale de la technocratie régionale, l’Agence lance « un dispositif incitatif pour fidéliser les infirmières ». Il s’agit de faire face à ce qu’elle nomme « une tension RH ». En résumé : venez travailler en super CDD dans les hôpitaux franciliens. Beau challenge, comme ils disent.

Regardons les éléments du dispositif : pour une durée de six à neuf mois et pour une quotité de travail journalier à la carte, l’infirmière intérimaire sera rémunérée contractuellement, de 3 000 à 4 000 €. Sachant que le salaire médian en CDI de l’infirmière de première ligne est de 1 800 €, dans le ventre mou de la moyenne européenne, l’intérimaire en deviendra leader en termes de rémunération laissant derrière les équipes à bout de souffle.

Alors que cette opération dite « coup de poing » est légitimée par la formule que la fin justifie les moyens, il faut éclairer le débat en rappelant que l’impact désastreux de cette initiative est bien connu. Ainsi, face à la crise du recrutement des médecins des hôpitaux, on a vu fleurir depuis quelques années l’intérim médical sur rémunéré. Le recours à ces mercenaires a entraîné dysfonctionnements, insécurité et surcoûts inefficaces.

Or, celui qui, dès 2007, a dénoncé les méfaits de ces coûteuses rustines médicales n’est autre que le ministre de la Santé, Olivier Véran. Parlant de l’intérim médical, « Il y a une pratique tarifaire qui est devenue totalement déraisonnable », disait-il encore le 18 février 2021 devant le Sénat. Et d’ajouter : « … À l’époque, c’était 1 300 euros en moyenne pour 24 heures, aujourd’hui, on atteint fréquemment les 2 500, voire les 3 000 euros. »
En effet, loin de résoudre ou au moins d’atténuer le manque de médecins, ce recours à l’intérim surpayé a entraîné le développement d’une médecine hospitalière foraine qui a pris en otage nombre d’hôpitaux. La situation est devenue telle que le recours à un sévère encadrement par la loi a été nécessaire.

Quelle mouche a donc piqué l’ARS Île-de-France ? Doit-on y voir un ballon d’essai ou un peu vraisemblable dérapage régional ?

François Aubart