Invisibles sont, dit-on souvent, certains lieux de notre histoire ; la prison, l’hôpital psychiatrique, l’hospice seraient sans image. Il existe pourtant des représentations de ces institutions. Des photographies de ce patrimoine gris de notre mémoire sociale, entre le patrimoine doré loué par le grand Malraux, le patrimoine industriel valorisé dans les années 1980, ou encore le patrimoine noir (celui des lieux de l’horreur, celui des génocides, des crimes contre l’Humanité). Entre le château de Versailles, les mines et les corons de Lens, et la Cité de la Muette à Drancy, il y a ces lourdes institutions grises qui sont au cœur de nos centres-villes.
Profitant de l’essor de la carte postale à partir de la Première Guerre mondiale, les HP, les prisons, les « hospices de vieillards » ou « maisons de retraite » ont fait, tout au long du XXe siècle, l’objet de très nombreuses images. Ces cartes postales ne représentent ni des châteaux ni des paysages idylliques mais ces lieux au coin de la rue. Ces images qui, bien souvent malgré elles, « ne font pas envie », dessinent une histoire de l’architecture des lieux de prise en charge de la vieillesse. Cette vue cavalière montre comment, d’un ré-usage de bâtiments déjà existants (caserne, hôpital ou château), on s’est mis à penser une architecture propre à la maison de retraite et à ses fonctions.
Ces cartes postales ne sont pas seulement des documents pour nourrir une histoire de l’architecture sociale, elles sont les archives de faible intensité de celles et ceux qui y vécurent la fin de leur vie. Car au dos de la carte postale, au dos de la photographie plus ou moins réussie, plus ou moins attirante (ces images ont aussi une fonction de communication – « regardez comme elle est belle, notre maison de retraite »), des femmes et des hommes ont inscrit des mots, ils ont dit un peu de leur existence dans ces lieux, ils se sont racontés. Une archive mineure de la vieillesse en institution.
À nous de la rassembler, car ces archives sont éparpillées dans toutes nos familles, mais aussi chez les collectionneurs, les vendeurs d’images, etc. Cette chronique voudrait être le réceptacle de ces petits mots qui ne disent le plus souvent que « je suis vivant.e ». Comme un lieu de mémoire de ces vies en institution. Voici quelques-unes de ces cartes achetées au gré des boutiques – les noms ont été modifiés –, que VIF postera durant ce mois d’août. À vous de poursuivre leur histoire (contact@vif-fragiles.org).
Philippe Artières
« Chère Mlle Plassu,
Merci pour votre gentille carte qui m’a fait grand plaisir et d’avoir des nouvelles de votre famille qui s’agrandit mais cela ne nous rajeunit pas et me ramène en arrière où j’étais encore valide et heureuse. Malgré mes soucis et la maladie, cela n’a guère changé ici où je croyais bien finir les quelques jours qui me restent et mourir ici enfin tranquille. Eh bien non je ne finirai peut-être pas mes jours ici car la maison de retraite de Cachan va être démolie et nous devons toutes partir pour la fin septembre et nous allons atterrir à Argenteuil, ce qui m’éloigne encore de Paris. Je n’avais pas beaucoup de visites mais cette fois j’en aurai encore moins et je ne serai pas la seule car toutes ici avons un gros cafard en plus de ceux qui courent dans nos [illisible], je ne me doutais pas en venant ici que je partirai un jour ; c’est bien triste à 86 ans d’être obligée de déménager sans compter la fatigue que ça procure et de toujours changer de vie et de climat. » (Le 07/04/1975)