« Je vais vous poser quelques questions, si vous ne voulez pas y répondre, ne le faites pas. » Muni d’un Fibroscan®, d’un GeneXpert® et de Trod VIH et VHC, l’infirmier du Bus Hépatant va, au gré des structures d’accueil d’usagers de drogues ou de sans-abri, à la rencontre des gens pour faire le point sur la « santé du foie », le VHC, inciter au(x) dépistage(s), éventuellement au traitement, mais aussi discuter consommation d’alcool, prises de risque, modes de transmission et recontaminations… Des échanges et une possibilité de prise en charge qui n’auraient sans doute pas lieu autrement. « Le but, c’est de renforcer ce qui existe et de l’améliorer pour les gens. »
Premier arrêt : L’Entre-temps, un Csapa* à Martigues
Comme à chaque fois qu’il arrive quelque part, Joris installe sa table d’examen, branche ses machines et discute avec les équipes des personnes attendues, en prenant des nouvelles de celles vues précédemment.
Quand il les reçoit, il commence toujours par parler « santé du foie » et hépatites, en expliquant ce que permet le Fibroscan® – évaluer la fibrose et l’état du foie, « bien souple quand tout va bien, tout dur au stade cirrhose » – et ce qu’il ne permet pas : « mesurer la stéatose, le gras ». Une présentation rapide mais exhaustive de ce qui peut impacter l’état du foie, des modes de transmission du VIH et du VHC, qui s’achève toujours par une note positive : « Le foie se régénère et même en cas de cirrhose, c’est résorbable. Il ne redeviendra pas complètement comme avant et, face au risque accru de cancer du foie dans ce cas, il faudra quand même un suivi par un hépatologue avec surveillance annuelle et échographie. » Permettant de détecter et quantifier le virus de l’hépatite C, le GeneXpert® est, quant à lui, « utile en cas de contamination récente, de Trod positif ou de suivi de traitement. Et si l’hépatite est active, vous aurez le choix entre deux traitements : trois comprimés par jour pendant deux mois ou un comprimé par jour pendant trois mois. »
Un peu timide, le premier patient est au RSA, bénéficie de la Protection universelle maladie (Puma), attend sa Complémentaire santé solidaire, et n’a pas de médecin traitant. La cinquantaine, il vient d’Istres où, suite au départ à la retraite de plusieurs généralistes, « il n’y a plus qu’un cabinet où les médecins tournent tout le temps. On ne voit jamais le même, ce n’est pas comme avec un médecin qui vous connaît et qui vous suit ».
Usager du Csapa depuis un mois, il a fait un infarctus il y a un an, un dépistage VIH il y a plus de dix ans, jamais celui du VHC (mais sa compagne, qui l’avait, a suivi un traitement). Le VHB ? Il ne pense pas avoir été vacciné. Il consomme du shit et de l’alcool, une demi-bouteille de pastis le soir auparavant, « deux-trois bières fortes tous les jours depuis quelque temps, mais c’est compliqué ».
Arrive le Trod (VIH & VHC) : « Ça fait mal ? N’importe quel doigt ? », demande-t-il dans un léger mouvement de recul ; « Celui qui vous rassure ».
VIH négatif. « C’est fiable ? » ; « à 99,9% mais ça ne détecte que les anticorps, donc pas si la contamination remonte à moins de trois mois ».
Puis le Fibroscan® : « Ça m’angoisse un peu. » Le foie est souple, sans fibrose, et le dépistage VHC négatif, « une bonne nouvelle ». Venu sur proposition de l’infirmière, mais « toujours avec une petite angoisse », souligne-t-il, comme pour expliquer qu’il n’y aurait « jamais pensé » autrement.
À la fois massif et souriant, le second est Georgien, et la communication difficile via Google Trad. En 2020, 30% des personnes vues par le Bus étaient d’origine étrangère. En centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) depuis deux mois, il injecte la cocaïne. Hépatite C traitée en 2018, mais jamais contrôlée depuis, il ne sait plus si le précédent Fibroscan® avait montré un problème au foie, ni à quand remontent ses derniers dépistages VIH et VHC. Encore moins s’il a été vacciné contre ou s’il a eu l’hépatite B. « Mais je sais que j’ai un problème », insiste-t-il.
Le GenXpert® lui permettra de savoir en une heure si son hépatite C est guérie. Il remonte sa manche, croyant à une prise de sang. VIH négatif, Fibroscan® montrant que « le foie va bien, très bien », et GeneXpert® négatif lui aussi. Aussitôt lâché un « Super » presqu’enfantin, il se lève et s’en va, happé par l’urgence qui l’attend.
Marseille, Le Sémaphore, un autre Csapa
Atteint d’une Affection longue durée (ALD), avec Sécu mais sans ressources, lui dort sur un matelas dans le parc. Très à l’aise et volubile, il évoque sans sourciller le cancérologue qui le suit à La Timone pour un cancer des amygdales. « On m’y a tout fait, le contrôle technique, les pneus… » Son hépatite est active depuis environ un an, mais il préfère s’occuper de son cancer d’abord. Son frère est mort d’une hépatite, « son foie a explosé ».
Il fume du cannabis et boit de l’alcool tous les jours, « du lever au coucher, mais j’ai baissé grave ». D’une quinzaine de bières 8.6 par jour, il est passé à cinq ou six. Un peu moins sûr de lui, il poursuit : « J’ai aussi un peu de diabète mais c’est très difficile de ne pas consommer d’alcool. Je suis en manque tous les matins et je bois même la nuit pour éviter ça. Tous mes collègues picolent, si j’arrête, je vais me retrouver tout seul, et j’aime la bière. »
Les dépistages ? « J’ai été transféré des Baumettes à Luynes mais j’avais mal à la gorge et c’est là qu’on a découvert mon cancer. J’ai fini mon incarcération à l’hôpital Nord. J’ai fait tous les dépistages et j’ai été vacciné contre l’hépatite B en prison. »
Le Fibroscan® ? « J’en ai fait un je ne sais plus quand et je ne me rappelle plus du résultat, de la bière a coulé sous les ponts. »
Traiter son hépatite C ? « Je prends déjà 28 médocs… J’ai des crampes, je ne bois pas d’eau…», s’excuse-t-il en déclinant la proposition.
Une femme. Orientée par le médecin, elle a « un peu la trouille » et ça se sent. Elle fume du cannabis tous les jours (« je ne devrais pas, j’ai un emphysème »), et prend de la cocaïne en sniff toute seule, « des keps à 10 € », avance-t-elle, hésitante face à la réaction que cela pourrait susciter. Elle a fait des dépistages « il y a très longtemps », n’est pas vaccinée contre le VHB, et suit différents traitements, pour l’épilepsie, le stress, les poumons… Une échographie de son foie a révélé qu’il était « gros et gras », elle a perdu 20 kilos en cinq mois. Le Fibroscan® montre un foie très souple, « dans le bon sens ou dans le mauvais sens ? », s’inquiète-t-elle immédiatement. Joris reprend : « L’appareil ne peut pas évaluer la stéatose, mais il n’y a en tout cas pas de fibrose ». La crainte laisse alors place à un demi-sourire, « je suis contente, c’est une bonne nouvelle, je suis rassurée ».
Et Le Tipi, Caarud** en centre-ville
« C’est quoi, c’est comme une radio ? » Lui aussi a fait ses dépistages en prison, l’hiver dernier. Un grand gaillard rigolard, « je n’ai pas le VIH ni le VHB, je ne sais pas pour l’hépatite C ». Il consomme du crack plusieurs fois par semaine, et une dizaine de canettes de bière tous les jours « sinon, je tremble ». Il partage le doseur mais pas l’embout, et quand il sniffe, ne partage pas les pailles. Il a plusieurs traitements en cours, mais « pas de soucis de santé particuliers ».
Son foie est très souple, « ça veut dire que je suis en bonne santé ? », lance-t-il dans un large sourire, comme après avoir passé un examen avec succès. « Qu’il n’y a pas de fibrose, mais ça ne mesure pas la stéatose, le gras. » « C’est Charlotte (l’infirmière du Caarud) qui me l’a proposé, sinon, je ne l’aurais pas fait. »
Premier jour de traitement
Arrivé d’un pas décidé, il repart de même quand on le croise à l’entrée : « Je suis suivi ici et quand on m’a proposé de voir Joris, j’ai accepté. Je le connaissais avant, ça a aidé. Je savais que j’avais l’hépatite C depuis une vingtaine d’années, la fatigue et le mal au foie ont fini par me motiver. L’hôpital m’avait bien donné une ordonnance, mais je l’ai perdue. Aujourd’hui, c’est mon premier jour de traitement, sans stress. On me le donne pour une semaine seulement, sûrement par manque de confiance mais je comprends. »
L’an dernier, un tiers des personnes rencontrées par le Bus n’avaient pas de couverture maladie, le principal obstacle à l’entrée dans un parcours de soins.
Isabelle Célérier
* Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie
** Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues