Les fins de vie sont toutes singulières et uniques et personne ne peut être sûr qu’une opinion émise alors que la mort semble éloignée restera la même lorsque l’échéance se rapprochera. Ce constat, peu contestable, auquel s’ajoutent les interrogations sur la légitimité de la collectivité à intervenir dans le domaine le plus personnel qui soit, fait de la rédaction de la loi annoncée sur la fin de vie un exercice particulièrement ardu.
La loi Claeys-Leonetti a introduit la possibilité de recourir à la sédation profonde et continue dans un certain nombre de cas mais son application reste difficile sur le terrain du fait notamment des réticences, éthiques ou simplement par ignorance ou manque de pratique, des professionnels.
Le risque d’une loi qui voudrait fixer des critères d’éligibilité à une aide à mourir quelle qu’elle soit, voire à certaines formes d’euthanasie même si le terme fait peur, est double.
Le premier est la recherche de mots qui heurteront le moins possible… mais dont l’ambiguïté ou les interprétations éventuelles feront naître de nouveaux débats et rendront la loi difficilement applicable.
Le second est d’accentuer le décalage entre les dispositions rendues possibles par la loi et la culture des professionnels de santé qui pour la plupart considèrent que leur mission est le soin… qui s’arrête avant l’accompagnement ultime… délégué aux soins palliatifs.
Redonner sa place à la fin de vie
Il est habituel d’entendre que la solution réside dans le développement des soins palliatifs puisqu’un accompagnement soucieux du bien-être du patient, une lutte efficace contre la douleur diminue voire supprime la demande d’aide à mourir. Mais pourquoi opposer soins palliatifs et aide à mourir ?
Cette opposition est un élément de confort intellectuel pour ceux qui sont opposés à toute aide à mourir mais conduit à des situations absurdes tel le refus de nombreux services de soins palliatifs d’avoir recours à la sédation profonde et continue comme si cela constituait une sorte d’aveu d’échec !
Le développement des soins palliatifs est indispensable mais faut-il multiplier les structures dédiées, accentuant ainsi le fossé entre soins et fin de vie, ou développer la culture des soins palliatifs dans les services de soins, en médecine de ville pour arrêter de cacher la mort.
Il faut redonner sa place à la fin de vie dans le système de soins et non en faire une approche « administrative » derrière laquelle se réfugient certains soignants qui n’accepteraient pas pareille injonction dans leurs pratiques de soins qu’ils considéreraient comme une atteinte à leur indépendance.
Définir une autre méthode
Dès lors, plutôt que de s’épuiser à la recherche de critères qui ne satisferont personne et seront d’une application difficile, pourquoi ne pas chercher à définir une méthode ?
Nous avons un exemple sous les yeux qui fonctionne à la satisfaction de tous depuis vingt ans, le Centre d’éthique clinique de Cochin. Ses interventions, à la demande des soignants comme des malades ou de leur famille, concernent toutes les situations de blocage, les interrogations des soignants, les demandes des patients, qu’il s’agisse d’un épisode dans le parcours d’un malade ou de sa fin de vie. Il ne s’agit pas de formuler des recommandations générales mais de trouver une voie pour débloquer des cas complexes, toujours singuliers. Cette recherche de solutions s’appuie sur une démarche réellement collective et pluridisciplinaire.
Pourquoi ne pas imaginer une loi qui, au lieu de définir des critères d’éligibilité à telle ou telle pratique ferait confiance aux acteurs en les laissant apporter des solutions au cas par cas, à condition de respecter une méthodologie propre à éviter toute dérive ? L’immense majorité des fins de vie se passe bien, et heureusement, et le recours à des interventions analogues à celle du Centre d’éthique clinique de Cochin serait évidemment l’exception. Mais il présenterait l’énorme avantage d’ouvrir un espace de dialogue autour des cas difficiles, sans a priori dogmatique. Cette possibilité de dialogue « concret » permettrait de faire évoluer les esprits et les pratiques, ce qui serait infiniment préférable à une loi dont l’application serait entravée par l’absence d’adhésion des médecins et qui ne conduirait finalement qu’à exacerber les oppositions.
Rien n’est pire dans une démocratie que des lois qui ne s’appliquent pas. Les injonctions, fussent-elles législatives, ne suffisent pas toujours, surtout lorsque leur application se heurte à la culture de ceux dont le rôle est essentiel pour la mise en œuvre. Une telle loi présenterait l’avantage d’offrir un cadre évolutif sans surenchères ni blocages.
Étienne Caniard, ancien président de la Mutualité Française et membre du Collège de la Haute Autorité de Santé