
Les députés viennent donc d’adopter, le 27 mai, une possibilité d’aide active à mourir dans certaines situations très médicalisées, très précises et encadrées. Ce texte n’est pas anodin. Mais s’il constitue une réelle avancée, il est encore loin de pouvoir entrer en application, car ce ne sera pas avant la rentrée de septembre que les sénateurs en discuteront, puis députés et sénateurs devront se mettre d’accord sur un texte commun. Bref, il peut se passer bien des choses.
En attendant, quelques remarques dans un débat qui s’est déroulé, du moins à l’Assemblée, de façon beaucoup plus mesurée que certains ne le prévoyaient. C’est ainsi la première fois qu’un texte proposé par le gouvernement est adopté alors que le Premier ministre en personne comme le ministre de la Santé ont fait part de leurs doutes, avouant même qu’ils ne l’auraient peut-être pas voté. « Je ne sais pas si c’est un progrès, a ainsi expliqué le ministre de la Santé, je ne suis pas complètement prêt à faire faire ce saut sociétal vers l’aide active à mourir ». Ajoutant encore qu’« il ne faut pas que l’aide active à mourir soit une solution parce qu’il n’y a pas de soins palliatifs, ou parce qu’il y a de la difficulté d’accès aux soins ». Un peu court…Quant au Premier ministre, il a essentiellement fait état de ses croyances religieuses.
Plus surprenante est la position de certains psychiatres, et en particulier de Raphaël Gaillard, personnage très en vue de ce milieu, directeur du pôle de psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne, qui plus est académicien. Pendant quelques années, cet « éminent psychiatre » a fait la pluie et le beau temps à Sainte-Anne. Et voilà que cet homme, supposé donc parler de ce qu’il connaît, lâche sur Radio Classique, d’étonnantes réflexions. « Ce que nous sommes en train de vivre, c’est la possibilité que mettre fin à ses jours devienne une forme de technique, et ça, c’est un changement civilisationnel majeur ! » Ah bon… Une forme technique ? Que veut-il dire ? A-t-il lu le texte ? De quoi parle-t-il ? Et cette référence bizarre de changement civilisationnel… ? Et notre éminent chercheur-académicien d’ajouter : « Le suicide, c’est toujours une dévastation ! C’est une négation du futur pour soi, mais aussi pour les autres ! Quand on rend cette idée implacable par le seul jeu de la loi et de l’assistance médicale, on rompt quelque chose d’essentiel dans la perspective de vie qui va au-delà de cette liberté que l’on revendique. » Comprenne qui voudra. Pourtant sur la même ligne du refus que notre psychiatre, la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, Claire Fourcade, argumente, elle, de manière exactement inverse : « On dit aux Français que c’est une loi d’autonomie et de liberté. Pour moi, c’est une loi du pouvoir médical parce que c’est un médecin qui va décider qui a droit et qui n’a pas droit à l’aide à mourir et ce pouvoir médical, je n’en veux pas. » Notons juste qu’il est paradoxal de parler de « pouvoir médical » quand la loi vise à donner la parole aux premiers intéressés.
Bref, les arguments évoqués ne sont pas toujours bien clairs. À VIF, nous débattons souvent de la fin de vie, sans posture particulière. Certains d’entre nous sont catégoriques sur le respect du choix de tout un chacun, la valeur autonomie primant sur tout le reste. D’autres s’interrogent. « Ce texte est bien, je l’aurais voté, mais je suis médecin, j’ai arrêté des soins, j’ai provoqué la mort dans ma carrière. Mais si un proche me le demande, je ne sais pas si je ferais. Je suis gêné, interrogatif »… Rien n’est simple, en effet. Lors d’une rencontre avec des parlementaires il y a plus de dix ans, Robert Badinter disait, lui, en substance : « Le but premier de la loi est de défendre la vie. » Et donc… Mais il ajoutait : « Dans le droit français, le suicide n’est pas un délit, donc il ne peut pas y avoir de complicité. La seule chose que poursuit la loi, c’est d’en faire de la publicité ». Un avis que partageait le philosophe Frédéric Worms lors d’un colloque sur la fin de vie à l’Institut de l’église protestante, en défendant l’avis du Comité consultatif national d’éthique : « Défendre parfois de façon exceptionnelle l’aide active à mourir, ce n’est pas du tout remettre en cause le choix essentiel, premier, qui est d’être du côté de la vie. Et de la défendre. C’est juste que dans certaines situations exceptionnelles, permettre la mort, c’est défendre la vie. »…
On hésite, et c’est tant mieux. Reste qu’aujourd’hui demeure un grand silence. Véronique Fournier, dans son livre, l’a pointé en revenant sur les situations cliniques qui posent aujourd’hui problème. Et contrairement à ce que l’on entend, ce ne sont pas ou ce ne sont plus les cas de maladie type Charcot, ou la question de la nième séance de chimiothérapie qu’il faut faire ou ne pas faire, car, de fait, ces situations-là seront réglées par ce nouveau texte. C’est autour de la fin de vie des personnes très-très âgées que la médecine a mené jusqu’à ce point de non-retour. La médecine a ainsi soigné jusqu’au dernier cancer, est intervenue avec efficacité jusqu’au dernier incident cardiaque, et voilà des êtres qui sont à bout, silencieux, se retrouvant des mois, inconscients, allongés sans contact. Et attendant une mort qui n’a plus rien de naturelle. On ne fait rien et on attend. Est-ce cela bien soigner ? Peut-on la vivre au mieux, lui donner un sens ? La réponse n’est pas simple, mais la médecine devrait s’interroger sur ces situations qu’elle provoque. Et la société, qui laisse la très grande vieillesse aux seules mains de la médecine, aussi.
Éric Favereau