Fin de vie, la fin d’une ambiguïté ?

Unes de Libé et La Croix le 11 mars 2024

D’abord une déception… Quoi, tout cela pour cela ! Tout ce temps passé, ces recours, ces débats, cette convention citoyenne, puis ces tribunes de philosophes, d’associations, sans oublier un énième avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), et voilà que le président – dont la main ne tremble plus – a décidé ce petit pas. Et ouvert ainsi un petit accès à l’aide à mourir.

Des propositions qui semblent bien timides. Emmanuel Macron énonce surtout des restrictions : « Cet accompagnement sera réservé aux personnes majeures… Les personnes devront être capables d’un discernement plein et entier, ce qui signifie que l’on exclut de cette aide à mourir les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer. Ensuite, il faut avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme. Enfin, le quatrième critère est celui de souffrances – physiques ou psychologiques, les deux vont souvent ensemble – réfractaires, c’est-à-dire que l’on ne peut pas soulager. Si tous ces critères sont réunis, s’ouvre alors la possibilité pour la personne de demander à pouvoir être aidée afin de mourir. Ensuite, il revient à une équipe médicale de décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande. »

Voilà. Une petite ouverture, se dit-on. Un tout petit pas. La différence avec la dernière loi Claeys-Leonetti qui ouvrait la possibilité d’une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » résiderait dans le fait que le pronostic vital ne soit plus engagé « à court terme », mais aussi « à moyen terme ». Ce n’est pas tout à fait rien, car une grande partie du monde des soins palliatifs, s’appuyant sur les recommandations de la Haute Autorité de santé, s’était arc-boutée sur le fait que pour entreprendre ces dites sédations, il fallait que la personne n’ait plus que quelques jours à vivre, ce qui a rendu dans les faits son application extrêmement réduite. Là, on passerait au moyen terme. Même si cela reste flou, c’est une réponse aux situations que vivent bien des patients en bout de course, comme ceux atteints de la maladie de Charcot. Bref, dans les décisions présidentielles, il y avait donc une petite ouverture, cernée par bien des contraintes, car sont exclus les maladies type Alzheimer… Quid de ceux qui ont écrit des directives anticipées ? Ne serviront-elles à rien, dès lors que la personne n’a plus toute sa tête ?

L’aide à mourir plutôt que la sédation terminale

Et puis, peu à peu, en relisant l’entretien de Macron à La Croix et à Libération, on s’est dit que le changement de mot n’était peut-être pas si anodin que cela, et que c’était peut-être là le changement le plus significatif. Emmanuel Macron, encore : « Les mots ont de l’importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d’ambiguïtés. Cette loi, nous l’avons pensée comme une loi de fraternité, une loi qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation. En cela, elle ne crée, à proprement parler, ni un droit nouveau ni une liberté, mais elle trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors et qui ouvre la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes… Le terme que nous avons retenu est celui d’aide à mourir parce qu’il est simple et humain et qu’il définit bien ce dont il s’agit. Le terme d’euthanasie désigne le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement, ce qui n’est évidemment pas le cas ici. Ce n’est pas non plus un suicide assisté qui correspond au choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie. Le nouveau cadre propose un chemin possible, dans une situation déterminée, avec des critères précis, où la décision médicale a son rôle à jouer. »

L’aide à mourir donc, plutôt que la sédation terminale. N’est-ce pas la fin d’une réelle hypocrisie ? Comme le reconnaissait Didier Sicard, ancien président du CCNE, « quand on arrête les traitements d’un patient et qu’on l’endort, on ne peut nier qu’il n’y ait une intention de mort ». Mais cela était nié. Or, les limites sont bien ténues entre le laisser mourir et le faire mourir. « Il faut reconnaître cette intentionnalité », insistaient de plus en plus de médecins. Avec le projet présidentiel, l’ambiguïté est levée : l’intention n’est plus ni cachée, ni secrète. Et surtout, elle n’est plus taboue. Pour autant, ce n’est pas le droit à mourir – drôle d’expression, de fait – qui est ainsi ouvert, mais une réponse médicale à une impasse médicale.

Reste qu’au-delà même des discussions parlementaires qui vont suivre, tout dépendra des pratiques. On reste dans le monde de la maladie, et non dans celui de la perte d’autonomie. Il n’y a, ainsi, pas de réponse, pour une personne lourdement handicapée après un AVC, ni pour une personne très âgée en perte complète d’autonomie mais dont le pronostic vital n’est pas engagé à moyen terme. Pour eux – c’est-à-dire pour Vincent Lambert par exemple –, la porte reste donc fermée.

Éric Favereau