Urgent, cherchons un « narratif » sur la santé ou l’hôpital… C’est le vocabulaire du jour : il faut du « narratif ». Et ces temps-ci, ce n’est pas terrible. D’un côté, on entend le récit d’une crise sans fin, d’un marasme persistant, entrecoupé de plaintes et de fuites. Et de l’autre côté, nous parvient le bruit de l’argent sonnant et trébuchant, que ce soit autour de la financiarisation mais aussi de certaines disciplines médicales qui sont devenues de véritables machines à cash. Et au milieu, un jeu de théâtre qui se cherche. Sans texte ni personnage. Quoi et que raconter ? C’est un no man’s land, une confusion à tous les niveaux. Comment définir un rôle pour l’usager, pris en tenaille entre une médecine des preuves, technicienne parfois à outrance, et des médecines de croyances (complémentaires ou alternatives) qui s’engraissent sur la froideur de ladite médecine technicienne ? Comment définir le rôle du médecin ou de l’infirmier·ère ? Expert, accompagnant, porteur de valeurs ou simple futur utilisateur de l’Intelligence artificielle ?
Le monde de la santé bafouille, ne sachant plus trop à quelle scène se vouer. La succession des ministres de la Santé, depuis quelques années, en est un symptôme direct. De la dizaine d’occupants de l’avenue de Ségur, on n’a rien retenu de leur rôle, tous étant aussi transparents que sans réel existence. Quel ministre aura en effet laissé une trace ? Simone Veil sûrement, défendant une position de morale et de compétence. Mais aussi Bernard Kouchner, qui a su renvoyer l’image d’une médecine courageuse et humanitaire. Pour le reste, nous avons eu droit à tous les profils : des compétents, des faiseurs, des recasés, des anonymes, des braves, des carriéristes. Bref, rien d’essentiel. Pas de quoi en faire une histoire en tout cas.
Aujourd’hui, que peut-on attendre du prochain ministre de la Santé ? On le sait, ce n’est pas de lui (ou d’elle) que viendra la moindre impulsion, coincé qu’il sera entre les exigences de Bercy et le peu de poids politique qu’il aura. Il (ou elle) sera au mieux un directeur d’administration, gérant tant bien que mal un monde déboussolé. Il lui faudra trouver des équilibres momentanés entre médecine de ville et médecine hospitalière, il ne développera pas de politique claire sur le poids ni le prix des médicaments, ni, en général, sur les liens déséquilibrés du pouvoir avec les grandes firmes pharmaceutiques. Rappelons, comme cas d’école, que si le traitement de thérapie génétique sur la myopathie de Duchenne se confirme, l’unique piqûre vaudra… autour de 3 millions d’euros. La rembourser à tout prix ? Peut-être le nouveau ministre aura-t-il un peu d’audace, et manifestera le courage de continuer la mise entre parenthèses de l’usage des cabinets de conseils. Rappelons encore que, la semaine dernière, le fameux cabinet McKinsey, très prisé par nos autorités sanitaires, a été condamné à 650 millions de dollars d’amende pour éviter un procès pénal dans le scandale des opiacés. Passons… En tout cas, notre futur ministre présentera des chiffres pour donner le sentiment qu’il a fait des économies dans notre système, tout en donnant des gages aux uns et aux autres. Peut-être, entre deux réunions, accélèrera-t-il le parcours de la loi sur la fin de vie ? Peut-être investira-t-il dans la grande cause nationale qu’est la santé mentale, choisie par Michel Barnier ?
Pour le reste, il fera bonne figure. On lui demandera de tenir bon. On peut parier que cela sera sa feuille de route… En attendant que le monde de la santé ne se trouve une histoire à raconter. Mais surtout à se raconter.
Eric Favereau