Depuis le résultat des élections législatives, on évoque la nécessité d’entrer dans une démocratie parlementaire. Chiche… Et si on tentait l’expérience à l’hôpital, et plus généralement dans le monde de la santé ? Et si on sortait du bloc contre bloc, médecins contre administration, patients contre médecins, tutelle contre administration, médecins contre État, politiques contre soignants, pour tenter de sortir du marasme actuel ?
D’abord ce constat : dans le monde de la santé, aucun bloc n’est majoritaire. Mieux, aucun ne peut se passer de l’autre. Commençons par la médecine de ville. Comme l’a décrit précisément Didier Tabuteau, aujourd’hui vice-président du Conseil d’État, la médecine de ville s’est construite, depuis le XIXe siècle, contre l’État, se battant ainsi contre l’arrivée d’officiers de santé, défendant son pré carré, avec le sentiment que l’État n’a de cesse que de vouloir limiter sa liberté d’exercice. Rappelons que c’est en échange du maintien de cette liberté que les médecins libéraux ont accepté la naissance de la Sécu en 1944. La médecine de ville, c’est donc chacun chez soi.8
Guerre de tranchée
Quid des patients ? Leur émergence comme acteur est récente. Ils sont apparus en se construisant en partie contre les médecins. Parfois en les ignorant, en tout cas en souhaitant prendre une part de plus en plus active aux décisions les concernant. Aujourd’hui, la relation médecin-malade n’est pas saine. Elle est bien souvent conflictuelle. Les deux se regardent en chiens de faïence, oubliant qu’ils sont, ensemble, une partie de la solution.
Passons à l’hôpital. Depuis la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires) adoptée en 2009 autour du slogan de Nicolas Sarkozy «A l’hôpital, il faut un seul patron», une guerre de tranchée s’est installée entre l’administration et le corps médical. Des directeurs sont devenus tout-puissants, retranchés dans leurs bureaux, obsédés par le respect des consignes de leur tutelle, les yeux rivés sur leurs comptes d’exploitation, tranchant à coups d’études de cabinets de conseils et de modélisations sans lien avec la réalité. On a vu le résultat : l’hôpital est à bout de souffle, pire, l’hôpital n’attire plus, se vidant de ses effectifs.
De tous côtés, ainsi, des citadelles se sont constituées, s’isolant les unes des autres, sans trop avoir le souci de faire vivre un collectif. Les politiques, pendant ce temps-là, ne prennent toujours pas la santé au sérieux, changeant ainsi de ministre tous les six mois. Paradoxalement, cette évolution en silo s’est déroulée à un moment où le concept de « démocratie sanitaire » était sur toutes les lèvres. Comme si plus on parlait de démocratie dans la santé, plus celle-ci s’éloignait.
Immobilisme généralisé
Cette incapacité des acteurs à sortir de leur quant à soi a entrainé un immobilisme généralisé. Des syndicats de médecins libéraux de gauche sont ainsi restés arc-boutés sur le paiement à l’acte alors que celui-ci, face au boum des maladies chroniques, n’a plus beaucoup de sens. De même, sur la question de la régulation de l’installation des médecins en ville, comment justifier cette liberté de pouvoir s’installer dans un quartier déjà surdoté ? Où sont les bénéficiaires ? A l’hôpital, les médecins se sont repliés sur leurs spécialités, perdant le goût de l’engagement collectif. Autre cas de figure, avec la gestion de la crise du Covid : des décisions ont été prises – pour certaines allant dans le bon sens – mais jamais elles n’ont fait l’objet de débats, ou alors ceux-ci se déroulaient dans des cercles opaques. Où sont les interactions, bien utiles pour les rendre acceptables par tous ? Quant aux associations de patients, elles ont dû s’imposer, tantôt s’alliant avec l’administration, tantôt jouant en solitaire. Pour au final terminer le bec dans l’eau, comme pendant les années Covid, où administration, politiques comme médecins se sont totalement passés d’eux.
Aujourd’hui, l’été s’annonce rude, avec des services d’urgences qui ferment. Et si l’on faisait un rêve en ces temps d’incertitude ? Et si le monde de la santé sortait de ce jeu d’arrière-garde, arrêtant d’avoir raison seul contre tous. Et si chacun des acteurs sortait de son pré carré. Et si le défi du patient était de participer à la pertinence des soins et non à la seule défense de son autonomie. Et si l’administration de la santé prenait un peu de liberté d’action, laissant les échelons intermédiaires proposer et décider, et non seulement obéir. Et si, à l’hôpital, on changeait les règles et qu’à l’occasion, un médecin voire un représentant des patients puisse diriger, sans que cela ne soit systématiquement un administratif dont bien souvent le seul objectif est de faire carrière. Et si les patients se décidaient à regarder leur médecin comme un allié et non plus comme un adversaire qui doit obéir ses desiderata. Et si la santé publique, lieu d’excellence du collectif, était enfin mise au centre des politiques de santé.
Bref, et si une démocratie de type parlementaire se mettait à exister dans le monde de la santé, avec de véritables structures de concertation, et, au final, une cogestion assumée sur les décisions ?
Éric Favereau