La France est, on le sait, l’un des pays où la prescription de médicaments est la moins encadrée et le remboursement le plus généreux avec, comme conséquence, des records, chaque mois vérifiés, en matière de n’importe quoi (voir la récente affaire des tumeurs du cerveau liées à la surutilisation de progestatifs). Hormis pour les opiacés – crise sanitaire majeure aux États-Unis –, la France est regardée comme une sorte de laboratoire mondial du laisser-faire en matière de médicament et nous le payons très cher, tant sur le plan économique (facture estimée à 10 milliards d’euros par an) que sur le plan humain avec des milliers de morts par effets indésirables de médicaments qui n’auraient jamais dus être pris, hospitalisations, séquelles lourdes, etc.
Un désastre consenti car rien de sérieux n’a été entrepris pour tenter d’améliorer les choses. Les causes sont connues et les solutions à promouvoir également, comme l’ont détaillé depuis des années plusieurs rapports ministériels et parlementaires. Ces mesures ne sont ni complexes à mettre en œuvre, ni coûteuses, car largement autofinancées par une réduction, même minime, du gaspillage et de ses conséquences. En ce sens, le scandale du Mediator® n’aura même pas été le détonateur pour un plan d’action, même sans ambition. À ce propos, il est instructif de relire les conclusions des Assises du médicament voulues en 2012, en pleine tourmente, par Xavier Bertrand alors ministre de la Santé : « Informer les patients et les professionnels de santé » ; « Structurer un service public d’information sur la santé incluant le médicament » ; « Limiter et mieux encadrer l’influence de l’industrie pharmaceutique dans l’information et la formation des professionnels de santé » ; « Les futurs professionnels de santé doivent acquérir les bases de la pharmacologie et développer leur esprit critique sur le médicament en toute indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique », etc. Après que le ministère de la Santé et la Caisse nationale de l’assurance maladie ont poliment écarté les propositions – pourtant opérationnelles et particulièrement innovantes – d’acteurs du service public, et annoncé récemment un grand plan de lutte contre le mésusage du médicament et les prescriptions inappropriées, à qui cette mission capitale a-t-elle été laissée ? À l’industrie pharmaceutique elle-même, et, plus précisément, à son syndicat national le Leem !
Que l’industrie soit associée à un grand plan en faveur de la juste prescription et du bon usage, cela va sans dire. Mais que l’État s’efface carrément et laisse les industriels mettre en place un « plan pour la sobriété médicamenteuse » (dévoilé le 4 juin), l’information des professionnels de santé et « un outil d’aide à la prescription » à destination des médecins est un pas jusque-là jamais franchi. Le banni de la formation de 2012 devient formateur douze ans plus tard. Le programme du Leem cible prioritairement les personnes de plus de 65 ans et affiche un objectif d’économies de 300 millions d’euros (modeste en regard des 10 milliards précédemment évoqués), qui correspond justement, miracle des chiffres, aux baisses prévues lors de ses négociations avec l’État.
Tout n’est cependant pas perdu : l’Agence du médicament (ANSM) continue sa campagne ciblant le malade comme cause de tout du fait de son inconséquence et de ses pratiques irresponsables. Après le slogan « À Noël, on échange et on partage de bons moments, pas les médicaments », en juin, Euro oblige, voilà que l’on nous offre une nouvelle perle : « Un pénalty, ça s’arrête. Pas les médicaments ». Message déroutant : un pénalty ne s’arrête qu’une fois sur vingt, et la plupart de médicaments ne doivent pas être pris à vie sans s’interroger sur le bien-fondé de leur poursuite. L’Agence à laquelle la campagne a été confiée n’a vraisemblablement jamais entendu parler de déprescription.
Bernard Bégaud