En attendant la Krise…

Alors que depuis des décennies les déserts médicaux envahissent nos villes et nos campagnes, avec une régularité quasi névrotique, le sujet de la liberté d’installation des médecins rebondit, tel un marronnier médiatique ou un éternel jour sans fin. 

Ces dernières années, le « marronnier », à force d’être convoqué et disséqué est devenu crise chronique omniprésente dans les tribunes de presse et sur les plateaux. Mais en martelant le constat sans approfondir ses causes, on entretient l’impuissance politique face aux 12% des Français qui n’ont plus de médecin traitant. 
Depuis vingt ans, quand le dernier médecin de famille est parti de la commune, le traitement politique du manque est resté sémantique. Il a bégayé : médecin généraliste, médecin traitant, médecin référent, médecin coordonnateur ; les communications officielles se sont succédé au rythme des changements d’acronymes, des valses de ministres, de leurs « feuilles de route », de leurs « missions flash » et autres plans « Ma santé 202.. » colorisés d’un peu de télémédecine. Le tout est rythmé chaque mois de novembre par la loi de financement de la Sécurité sociale, et son trou sans fond. 

Pourquoi diable nos politiques sont-ils à ce point inefficaces en matière de politique de santé ? André Grimaldi apporte une grille de lecture dans son récent entretien à VIF. L’affrontement entre le corporatisme médical et la technocratie ministérielle aboutit à un statu quo avant tout préjudiciable pour la santé des gens. Essayons de prolonger cette analyse politique.

Engoncée dans des échéances quinquennales trop courtes pour porter un impact visible en termes de démographie et d’accès aux soins, la décision politique est désormais parasitée par Dame Censure qui plane sur un Parlement parcellisé. Quant à l’argent, nerf de la guerre… 
Le corporatisme médical a beau jeu d’entonner le « ce n’est pas en forçant les jeunes médecins qu’on va les motiver »!  C’est le repli catégoriel par la médecine libérale en secteur 2 qui pousse les jeunes internes en médecine au fronton du refus et tient bon nombre de parlementaires par la barbichette. En face, le pouvoir politique, enfoui dans sa stérile inaction techno « économocratique »,  regarde ailleurs. Dans sa lorgnette : les échéances électorales.  

Au milieu, la population est trop souvent victime de cet immobilisme qui nourrit la désertification. Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), seulement 44% des médecins inscrits en médecine générale à l’Ordre des médecins exercent en médecine générale. Les autres exercent soit comme salarié, soit comme remplaçant ou en médecine « alternative ».  
Il n’y a pas que la médecine générale qui soit concernée par la désertification. La psychiatrie et notamment la pédopsychiatrie et nombre de spécialités qui ne pratiquent pas ou peu d’actes techniques sont de moins en moins accessibles. Plus globalement, en libéral comme à l’hôpital, la multiplication des spécialités médicales, des sous et hyper spécialités façonnent une offre de soins plus rigide, hyper technique et déséquilibrée.  

Cerise sur le gâteau, les donneurs de solutions et de performances proposent de multiplier les « nouveaux métiers » pour combler les manques. Ces coachs en santé ou autres coordonnateurs de parcours sont des rustines inefficaces et coûteuses faisant le lit de la « patamédecine ». À l’opposé, la promotion des métiers et savoir-faire infirmiers est freinée par le diktat médical corporatiste. C’est pourtant probablement la clé de nouvelles et nécessaires organisations de prise en charge enfin utiles au gens. Soulevons le couvercle… 

L’argent est rare. On ne peut rajouter de l’argent que l’on n’a plus. Alors ? En grec, la crise, Krisis, signifie décision ou « moment décisif ». Il désigne donc le moment où une décision cruciale doit être prise. Il faudra une « Krise » forte pour faire bouger les lignes du système. 

Alors peut être pourra-t-on répondre, ensemble, à quelques questions interdites ?  

François Aubart