
Édith Cassan-Toesca est un des nouveaux visages du CNaV (Conseil national autoproclamé de la vieillesse), ce drôle d’objet, ovni lancé il y a quatre ans, avec pour slogan : « Rien pour les vieux sans les vieux ». Au début, le CNaV devait être l’amorce de la constitution d’un comité de vieux et de vieilles qui aurait eu pour charge de porter leurs paroles et leurs regards dans toutes les politiques publiques autour de la vieillesse. Bref d’en finir avec le constat que tout le monde parlait des vieux, sauf eux. Mais peu à peu le CNaV a changé, devenant une sorte de lobby de cheveux gris avec une vingtaine de comités locaux et près de 4 000 membres. Il y a deux ans, un contre-salon très original des vieilles et des vieux s’était ainsi tenu à Paris, regroupant pendant trois jours des centaines de personnes, ravies d’être ensemble, de créer des liens et des espaces communs, pointant des exigences jusqu’alors invisibles. Et d’évoquer ce que pourraient être de véritables politiques publiques, soucieuses des besoins de ces derniers, loin par exemple des enfermements du monde des Ehpad. Et voilà donc que les 26-27-28 septembre va se tenir un deuxième contre-salon à Bordeaux, avec un fil conducteur autour de « la question des générations ». « Nous faisons le pari que jeunes et vieux s’accordent pour définir ensemble une société qui n’exclut aucun de ses membres », est-il écrit en exergue du programme. Joli projet.

Personne ne sait le bien d’autrui
Édith Cassan-Toesca en est donc une des organisatrices. Psychanalyste ayant pris sa retraite, elle a 72 ans et son histoire ressemble parfaitement à cette initiative. « Ce que j’attends du contre-salon ? Qu’il soit l’écho du premier, que nous fassions nombre, pour que l’aventure continue et se développe. » Édith Cassan-Toesca est une militante, elle l’a toujours été, mais à sa manière, discrète et présente. « Ce qui m’a fait réagir, c’était cette idée que j’ai toujours eue comme boussole : personne ne sait le bien d’autrui, c’est cela le plus important, que l’on ne parle pas en notre nom, que les vieux prennent la parole et se fassent entendre. » Puis elle développe, en s’appuyant sur sa propre vie. « Je ne peux parler que pour moi. D’une certaine façon, c’est la suite de nos vies d’avant, et le CNaV, le contre-salon maintenant à Bordeaux, c’est une même lutte qui se poursuit. Ce n’est pas un mouvement qui a éclos, comme cela, à un moment donné, c’est pour moi une suite. Quand je regarde mon passé, je me suis beaucoup engagée, dans les mouvements féministes mais aussi dans ma pratique professionnelle de psychanalyste, avec ce souci d’une liberté de parole. C’est cela qui me pousse, me guide. »
Édith Cassan-Toesca, dans les années 1970, était ainsi engagée dans le combat pour l’IVG. « J’étais prise dans ce mouvement, mais libre, toujours libre, jamais encartée. Il y avait toute une effervescence, j’étais dans les groupes femmes, tout bougeait, il y avait ces restaurants associatifs. » Avec toujours ce repère : « Ne pas faire le bien à la place des autres ». Édith Cassan-Toesca est ainsi, réfléchie. Elle aime écrire. Elle commence une phrase, puis hésite, la prolonge. « Quand est-ce que je me suis sentie vieille ? » Elle répond avec pudeur : « Cela m’a paru évident, après la mort de mon mari. Nous étions très engagés à la mairie de Bègles, et il y avait le désir de continuer un combat. Tous les deux on s’était investis dans les Boboyaka, ce projet d’habitat senior alternatif. » Les Boboyaka sont aussi un joli projet : « Vivre ensemble pour vieillir mieux et autrement. Nous faisons le pari de rester désirants, acteurs de notre vie le plus longtemps possible, en partageant un projet, en le faisant vivre, en l’ouvrant au monde. Nous pensons que la solidarité, le lien social, une veille bienveillante de chacun, sont les meilleurs remèdes pour conserver le plus possible son autonomie et affronter la perte », est-il ainsi écrit dans la brochure le présentant. Ce projet, qui est en cours, porte ainsi sur la construction de vingt logements locatifs autour d’un espace de vie collectif, une micro-crèche et un espace commercial.
Pas une identité, mais au cas par cas
Vivre ensemble, donc. Édith Cassan-Toesca le vit même dans le deuil : « Nous savions que l’on allait vieillir. Mon mari est mort, et je me suis rendue compte que le combat continuait. Est arrivé le CNaV que j’ai découvert après la lecture d’un article dans Le Monde. Bref, je voulais poursuivre mon histoire et mes engagements. » Et aujourd’hui, quelle serait l’urgence ? « Je suis sensible à ceux qui n’ont pas ma chance d’être quand même privilégiée », répond-elle. « Au CNaV, nous avons quelque chose à faire pour les vieux pauvres – pauvres d’argent, de liens, et d’isolement. » Certes, mais vieillir n’est-ce pas quand même que des ennuis ? « Non. Ce qui me plaît dans vieillir, c’est, comment dire, du côté de la perte des repères narcissiques », dit-elle, s’excusant de ses propos analytiques. « Quand je me regarde avec mes rides, mes limites, je vois aussi apparaître d’autres atouts. On peut séduire mais ce n’est pas les mêmes choses qui sont mises en avant, c’est moins encombrant ». Elle, la féministe, dirait-elle qu’être vieux ou vieille est une identité ? « Non, ce n’est pas une identité, je ne crois pas, c’est pour moi une question de singularité, et c’est cela qui est compliqué dans notre mouvement. Tout le monde est singulier, c’est au cas par cas, mais cela n’empêche pas d’essayer de faire nombre, et c’est cela qui me plaît : chacun s’empare du mouvement avec sa singularité. J’attends que plein d’autres personnes aient envie de faire grandir le CNaV, qu’elles s’engagent plus. Le faire grandir pour faire une pression ». Et pour elle, ces jolis mots : « Les vieux ont quelque chose à transmettre, ils ont à entendre aussi. La transmission, c’est des deux côtés »…
Éric Favereau
