
La chronique de Jean-François Corty
Si j’ai peur du cancer ? Mon père est mort à 50 ans d’un cancer, ma tante à 30 ans. Non, ce n’est pas une maladie qui me fait peur, mais c’est une situation qui me choque. Et cela me choque d’autant plus qu’il y a eu cette étude, parue le 25 septembre dans The Lancet et reprise dans Le Monde, montrant que la France est le pays au monde ayant la plus grande incidence, c’est-à-dire ayant le plus grand nombre de nouveaux cas par an. Et cela concerne aussi les jeunes. Cela indique que presque tout le monde est touché directement ou indirectement.
On peut s’interroger, dire que l’on dépiste beaucoup – ce qui est d’ailleurs plutôt inexact –, mais il se passe quelque chose. Cela impose d’en savoir plus, car il ne s’agit pas d’un simple ressenti.
En écho au point de vue des autorités sanitaires et politiques, il n’est pas exagéré de constater qu’elles n’en font pas assez pour sortir de cette confusion, et l’on ne considère pas le caractère épidémique relevant de l’urgence sanitaire que représente cette hausse.
On nous dit que l’on manque d’éléments objectifs. Pour ma part, j’ai documenté ces questions, notamment à travers le film Contrepoisons, un combat citoyen, réalisé avec Valéry Gaillard, rappelant que la présence de cancers pédiatriques est très révélatrice, agissant comme une sentinelle sur les enjeux environnementaux et sur les insuffisances de suivi de ces pathologies. Mais pourquoi tolère-t-on le fait de ne pas avoir une vision claire sur ce front-là ? On manque de données, on fait des extrapolations qui ne sont pas réalistes et lorsque l’on voit des choses inattendues surgir, souvent à l’initiative des familles concernées, comme ces clusters pédiatriques, on détourne la tête.
Vous me dites que je tiens un discours catastrophiste. Je ne suis pas enfermé dans l’alarmisme, mais j’ai le souci de faire de la lutte contre cette hausse de cancers un sujet politique. Aujourd’hui, il y a une kyrielle de déterminants, on parle d’exposomes qui mériteraient d’être mieux observés, aussi bien dans notre vie quotidienne que dans notre environnement. Or, nous restons sur des approches individuelles des facteurs de risque. La hausse des cancers ? Ce serait la faute au fait que l’on fume, que l’on mange mal, que l’on ne se dépense pas assez… Nous renvoyons la responsabilité à l’individu et nous nous sommes très peu penchés sur les causes environnementales. Les autorités sont enfermées dans une approche culpabilisante du malade, et cela s’est encore traduit récemment par des remises en cause dans le budget de la Sécu des affections de longue durée, mais aussi avec l’augmentation annoncée des franchises pour responsabiliser les patients. Bref, c’est toujours la faute aux malades et on leur fait payer, voilà la petite musique.
Le fait de voir qu’il y a énormément de morts de cette maladie et que cela n’est toujours pas un sujet de politique majeur pousse à l’indignation. Comme un décalage entre le discours et les politiques menées, c’est la loi Duplomb, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. On voit un système qui, malgré les connaissances scientifiques reconnues, va nous imposer de remettre en circulation des molécules toxiques sur notre territoire. Et les parlementaires qui ont voté pour nous font croire que tout est sous contrôle.
Il faut culpabiliser les pouvoirs publics. Il faut construire un rapport de forces qui serait un moteur, certaines associations comme Cancer Colère s’y essayent. En tant que citoyen et président de Médecins du monde (MdM), je me dois de mener un combat politique. Avec MdM, nous sommes entrés dans la santé environnementale avec plusieurs projets sur le sujet en France et à l’international. C’est une opérationalité compliquée car on a affaire à des maladies chroniques aux effets différés. Je suis persuadé que cette problématique doit être plus présente dans le paradigme humanitaire car elle est au cœur des inégalités sanitaires et sociales, en France comme à l’échelle planétaire.
Jean-François Corty
(Médecin, membre de VIF, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques et à l’Institut convergences migrations, président de Médecins du monde)