Doctolib ou l’échec du service public

Doctolib ? Une (très bonne) initiative privée. Depuis sa création en 2013, plus de 700 millions de rendez-vous pris en ligne, sans compter les autres services : téléconsultations, transmission sécurisée de documents, etc. Passons sous silence les aspects financiers et la transmission d’informations aux GAFA (Google, Amazon) et posons la question : Pourquoi, diable, le service « commun » (pour ne pas utiliser « public ») n’en a pas pris l’initiative ? Celle d’une plateforme nationale avec l’ensemble de l’offre, sans discrimination, et fournissant à l’utilisateur des informations claires pour faciliter son choix (entre autres sur les dépassements d’honoraires).

Capter les actes rentables

Une fois de plus, le secteur public a déserté le service commun. Bien sûr, il est dans l’air du temps de répondre : « Pourquoi le faire puisque le privé le fait très bien ? » Certes, mais alors abandonnons tout ce qui reste de rentable aux fonds de pension américains. Car Doctolib, aussi utile et performant soit-il, illustre bien une nouvelle démission de l’État : la plateforme est avant tout un système de captation des actes rentables vers le privé ; aucun (ou très peu) rendez-vous n’est proposé vers les structures publiques qui assureraient, aussi bien ou mieux, l’acte en question. Les hôpitaux, CHU compris, sont carrément absents de l’offre. Et si les hôpitaux de Paris (AP-HP) ont, certes, passé convention avec Doctolib en 2017, on reste dans le domaine de l’annonce et du vœu pieux. Par exemple, pour un rendez-vous pour une IRM du pelvis sur Paris, l’offre privée abonde. Ce n’est qu’à la sixième page (!) qu’apparaît le premier établissement public : l’hôpital de Longjumeau (GHNE). On s’empresse de se connecter pour voir s’afficher : « Aucune disponibilité en ligne. Pour prendre rendez-vous, appelez le 01 69 15 91 91 ». Vous avez dit « concurrence déloyale », mais de la part de qui ?

Clairvoyance ou volonté délibérée ?

Pour la province, c’est encore plus clair : pas d’alternative au privé. Pour la même demande sur Bordeaux, aucune entrée publique n’est proposée par la plateforme Doctolib. Si un militant acharné du secteur public, nullement découragé, tape « IRM pelvis CHU Bordeaux » sur son moteur de recherche, il obtient une entrée mais pas de proposition de date : seul le choix d’un praticien en secteur privé permet ce luxe. En régime public, on est renvoyé vers un numéro de téléphone.

Cet abandon, pan par pan, de la mission publique de santé mérite une question :  absence de clairvoyance ou volonté délibérée ? En tout cas, cette persistance dans la destruction interroge.

Bernard Bégaud